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substituer aux héros des époques fabuleuses ou lointaines les rois et les grands personnages des temps modernes. Parcourons l’Hippolyte, comte de Douglas (1690), de Mme d’Aulnoy. Les noms y sont ceux des plus nobles familles de l’Angleterre ; j’y vois même, aux premières pages, les noms d’Henri VIII, de François Ier, du cardinal Wolsey, d’Anne de Boleyn, et un court résumé des événemens qui ont abouti à l’entrevue du camp du Drap d’or. Voilà l’enseigne ; et voici ce qu’elle recouvre. Le comte de Warwick a jadis été pris par les corsaires ; le bruit de sa mort s’est répandu, et sa femme est elle-même morte de chagrin, en confiant sa fille Julie au comte et à la comtesse de Douglas. Leur fils Hippolyte s’est épris de Julie et voudrait l’épouser ; mais il ne peut obtenir leur consentement et reçoit d’eux l’ordre de voyager au loin. En mer, il rencontre lui aussi les corsaires. Bataille, abordage, et scène renouvelée du Grand Cyrus : du même élan, en sens contraire, tous les Anglais ont passé sur le vaisseau turc et tous les Turcs sur le vaisseau anglais ; après quoi les Turcs, qui jugent le troc avantageux, s’éloignent sans demander leur reste. Un seul d’entre eux est demeuré au milieu des Anglais, aux prises avec Hippolyte. Que le monde est petit ! Ce vaillant n’est autre que le comte de Warwick. On le croyait mort ? Il n’était pas mort. Les infidèles qui l’avaient fait prisonnier lui avaient promis la liberté après quelques années de bon service et c’est pourquoi il se battait en brave homme contre ses propres compatriotes. On s’explique, on s’embrasse et, sans plus tarder, Hippolyte lui demande la main de sa fille Julie. Dire maintenant par suite de quelles circonstances nous voyons un peu plus loin Hippolyte occupé à narrer à une vénérable abbesse un conte de fées qui remplit cinquante pages du volume et y parait infiniment sensé ; pourquoi Julie, travestie en Silvio, reçoit du comte de Bedford caché sous le nom de Beccarelly un terrible coup de poignard dont elle ne meurt pas ; comment enfin Hippolyte, cinq ou six fois laissé pour mort « dans des mares de sang », en arrive à la rejoindre en Italie et à s’unir à elle, ce serait, je le confesse, une entreprise au-dessus de mes forces.

Les œuvres écrites à la même époque dans le même goût et sur le même plan sont innombrables. Mais ne nous contentons pas d’en constater l’extravagance ; remarquons ce que l’extravagance a ici de déjà vu et de traditionnel. Il y a au xviie siècle un « poncif » de l’aventure que l’école de d’Urfé a créé, moitié avec