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jeu du faubourg Saint-Germain, dont le tenancier est le duc de Créqui en personne. Sommes-nous curieux d’assister à une exécution en 1652 ? Il nous peint le Pont-Neuf encombré de voitures, la cohue des badauds qui se pressent à la Croix du Tiroir et que les archers ont peine à contenir, la charrette qui vient du Fort-l’Evêque avec un plein chargement de faux monnayeurs et, à l’entrée de la rue de l’Arbre-Sec, le gibet. Il a fait grand abus des récits de sièges et de batailles ; au moins n’y est-il pas question, comme dans le Pharamond de La Calprenède où ils tiennent deux fois plus de place, de Romains, de Francs, de Burgondes, armés en chevaliers de l’Arioste ou du Tasse et toujours prêts à recevoir le coup de lance « sans fléchir ni perdre les étriers ». Les victoires auxquelles il nous fait assister sont celles que Van der Meulen a peintes ; les blessés, les morts qu’il énumère sont ceux dont le bulletin officiel a cité les noms ; nous suivons chez lui les opérations d’une guerre au siècle de Turenne et de Vauban ; nous surprenons, à la parade, à la maraude, et tantôt dans la libre et fringante allure de l’étape, tantôt dans la belle ordonnance d’une journée de combat, l’armée de Fribourg ou de Steinkerque. Peu à peu, le siècle ressuscite, non pas tel qu’il apparaît à travers les bienséances de la tragédie ou de l’oraison funèbre, mais tel qu’il se laisse voir chez Tallemant, Retz et Saint-Simon, chez Molière et ses successeurs : femmes galantes qui se soucient assez peu des « petits soins », des « jolis vers », et exigent d’un amoureux d’autres qualités que celles de l’esprit, gens d’épée insolens et rieurs, grands seigneurs qui vivent d’emprunts, grandes dames qui trichent au jeu, valets fripons qui aident leur maître à berner un créancier et se paient en volant leur maître ; et tout au fond le peuple, ignorant, superstitieux, misérable et narquois.

Il arrive que les historiettes de Sandras n’expriment pas seulement l’homme de son siècle, qu’elles effleurent le fond même ou, si l’on veut, les bas-fonds de l’être humain. Le père du comte de Rochefort, déjà vieux et deux fois veuf, s’est épris d’une grisette, fille d’un marchand de la rue Saint-Denis, « élevée sous l’aile de sa mère » ; il est charmé de son innocence, de sa modestie, il est résolu à l’épouser. Un ami qui a pitié de lui et désire lui éviter une sottise, l’avertit qu’elle fréquente une maison mal famée. Il s’indigne, refuse de l’écouter ; et puis, mordu par le doute, il va un soir, en rasant les murs et le manteau sur le nez, frapper à la porte de la hideuse maison. On lui amène une fille qu’il ne con-