Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/829

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
823
un romancier oublié.

nons à la fin du volume que Gendron s’est fait moine. Je ne dis rien de Margot, la servante de Mme de Fresne, qui au cours d’un combat naval a l’avant-bras emporté par un boulet de canon : elle réclame son avant-bras ; et on le lui rapporte ; et Mme de Fresne le fait embaumer. Tout est aussi fou dans ces Mémoires, à part cependant les cinquante premières pages où s’esquisse un drame conjugal très moderne, avec les jalousies, les défiances, les brusqueries du mari, les petites désobéissances, les premiers essais de révolte de la femme, avec aussi de bonnes silhouettes de procureurs et d’avocats qui rôdent autour de ce ménage en train de se disloquer et flairent une cliente probable pour demain. Il est à croire en effet que Sandras a voulu exploiter là le récent scandale d’un procès en séparation auquel il avait déjà fait une brève allusion dans les Mémoires de Rochefort. Cette fois encore, il a pris son point de départ dans la chronique du temps. Mais la marquise de Fresne n’avait point été mêlée, comme Bouy, Rochefort et d’Artagnan, aux affaires publiques : l’histoire n’était plus là pour le soutenir, le guider ; il n’a pas tardé à s’égarer. On peut se figurer sur cet exemple ce qu’il vaudrait, s’il n’avait eu l’heureuse idée de faire du roman une annexe de l’histoire. Et l’on se persuade qu’aux environs de 1700 c’est bien elle qui a été l’éducatrice du roman français.

Une comparaison qui s’offre entre La Calprenède et Sandras achèverait de nous en convaincre. Le premier volume du Pharamond raconte les amours du Romain Constance, descendant de l’empereur Constantin, et de Placidie, sœur de l’empereur Honorius. Après de longs mois d’adoration respectueuse, Constance avait arraché à Placidie « l’aveu qui fait tant de peine », et il était allé conquérir au loin, sur vingt champs de bataille, les lauriers qui devaient le rendre digne d’elle. En son absence, Alaric s’empare de Rome ; Placidie captive est contrainte d’épouser Ataulphe, roi des Visigoths, qui la mène à sa cour, à Barcelone, et qui pour la distraire organise de brillans tournois. Constance vole à Barcelone, au risque d’être reconnu et mis en pièces. Il découvre qu’elle va chaque jour pleurer, prier, rêver dans le jardin d’un couvent, et grâce à un moine qui se trouve être un de ses anciens serviteurs, il s’y cache. Elle vient ; il se montre ; elle pâme. Elle lui rappelle, avec la dignité qui convient à la reine des Visigoths, qu’elle n’est plus libre ; sans lui cacher qu’elle l’aime toujours, elle lui fait défense de reparaître à ses yeux, si bien que le déplorable