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méconnu et qu’il a cessé d’être la base invariable des transactions diplomatiques, depuis que la force s’est substituée au droit, depuis qu’un nouveau principe de morale politique, — beati possidentes, — a prévalu sur le continent, depuis qu’on essaie de le faire prévaloir en Angleterre ? Là est l’obstacle, là est le danger. Nous ne saurions y contredire. Peut-il être cependant préférable de livrer une situation si compliquée aux hasards des accidens, aux surprises de l’inconnu ? Si les puissances, au surplus, n’étaient pas toutes sincèrement animées du désir de contribuer également, et sans aucune vue déguisée, à rétablir en Turquie, avec l’autorité du sultan, l’ordre intérieur et la concorde générale, si les difficultés pour conclure et exécuter un traité pouvaient être attribuées au fâcheux état des rapports internationaux, à qui en incomberait la responsabilité ? Ce ne serait plus au sultan et à ses conseillers exclusivement, ce serait, pour une bonne part, et peut-être la plus lourde, aux puissances elles-mêmes. Les hommes d’Etat ne peuvent se le dissimuler et nous avons la confiance qu’ils en ont le sentiment bien clair, qu’ils comprennent également que les troubles dont l’empire ottoman est le théâtre ne peuvent se prolonger indéfiniment sans mettre la paix générale en un grave péril. Celui d’entre eux qui envisagerait sans frémir les calamités d’une guerre universelle, engagée entre des millions d’hommes armés de formidables moyens de destruction, aurait un terrible compte à rendre à ses contemporains et à la postérité. Nous ne renonçons pas à penser, sans faire grand cas de la conception que nous avons esquissée à titre indicateur, que l’on s’inspirera, en tout lieu, de l’urgence d’aviser honnêtement aux périls qui nous menacent.

D’autres penseront qu’à quelque point de vue qu’on se place pour scruter cette mystérieuse question d’Orient, pour en rechercher la solution, on en arrive toujours, quoi qu’on fasse, à se convaincre que les vœux sont plus permis que les espérances. Pour nous, la sagesse des gouvernemens peut et doit y pourvoir. Nous n’avons que trop vu à quels lamentables désastres l’ambition, unie à la force, peut réduire l’humanité. Cet affligeant spectacle a donné un essor nouveau à l’amour de la paix. Il nous plaît de penser que les souverains et les chefs d’Etat, comme leurs conseillers, y conformeront leur politique en Orient.


Comte BENEDETTI.