Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui recherche et découvre les gisemens de la richesse; on dirait, aujourd’hui, qu’elle est le grand prospecteur de tous les filons de la richesse cachée. « La spéculation, c’est à proprement parler, continue Proudhon, le génie de la découverte; c’est elle qui invente, qui innove, qui pourvoit, qui résout, qui, semblable à l’Esprit infini, crée de rien toutes choses. Elle avise, conçoit, organise; le Travail, le Capital, le Commerce exécutent; elle est la tête, ils sont les membres. » La spéculation, en effet, est intimement liée au génie d’invention qui est l’âme de tout progrès. Nous n’avons donc pas le droit de dire qu’elle est le propre des sociétés en décadence. Certes, si elle est un des facteurs essentiels de la richesse et du progrès, elle est parfois coupable de grands excès et par suite de grands maux ; elle a ses abus, elle a ses crimes. J’oserai la comparer à une chose plus noble, à la liberté, mère des grandes choses et des grands hommes. Faut-il nous le rappeler, à nous Français? la liberté, elle aussi, a été souvent souillée et ensanglantée; elle nous est apparue, à plus d’un jour, sous un masque hideux. Ainsi de la spéculation, à certaines heures; aux mains de convoitises effrénées, elle semble un agent de dissolution. Il est triste, assurément, de voir tout un peuple secoué par la fièvre de la spéculation, mais alors même que, par ses excès, elle semble une maladie, il serait injuste de la traiter comme une affection sénile ou une marque de décrépitude. Demandez-le à la jeune Amérique.

Sous le nom de spéculation, le public a le tort d’entendre, presque uniquement, les opérations de Bourse qui ne visent qu’à encaisser des différences de cours, soit sur les valeurs mobilières, soit sur les denrées, blés, farines, sucres, coton, café, car l’on spécule sur tout, et plus, peut-être, sur les denrées agricoles, nationales ou exotiques, que sur les rentes et les valeurs industrielles. Cette spéculation de Bourse, souvent viciée par des manœuvres coupables, est stérile en elle-même, puisqu’elle ne produit rien, qu’elle ne fait que changer le cours des valeurs. On ne saurait dire, pour cela, qu’elle soit toujours nuisible, ou toujours inutile. En dépit des abus qui la déshonorent, si pernicieux qu’en soient les excès, elle a, elle aussi, cette spéculation sur les cours, son rôle dans l’économie générale; il est malsain, toutefois, qu’elle empiète sur les fonctions essentielles du corps social, aux dépens de la production et du travail. En courant après un bénéfice égoïste, la spéculation sur les valeurs rend souvent service au