Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont jamais possédé une architecture, — que nous devrions construire ces demeures de Mammon, car elles sont essentiellement un produit du génie sémitique.

Non. hélas! n’en déplaise à notre amour-propre, la Bourse n’est ni une invention de Tyr ou de Carthage, ni un legs de Jérusalem. L’ombre de leurs portiques a beau attirer nombre de fils d’Israël, ces temples du Veau d’or, qui se dressent de tous côtés chez les fils de Japhet, n’ont pas eu pour fondateurs des enfans de Jacob: et il n’est pas vrai que leurs premiers prêtres, ceux qui en ont fixé le rituel, aient été des cohanim, descendans d’Aaron. En vain, de prétendus historiens tentent d’en faire remonter l’origine à la postérité d’Abraham. Les publicains, tout-puissans à Rome, étaient fort mal vus de Jérusalem. Il y avait une Bourse à Rome, au Forum d’abord, dans les basiliques ensuite, ou sous les deux Janus, longtemps avant l’invasion des sept collines par les Orientaux, bien avant que les légions de Pompée ou de Titus n’aient ramené des captifs de Palestine dans les ruelles du Transtévère. Ils n’étaient pas les élèves d’Israël, les argentarii ou les trapezitæ qui, pour le compte des chevaliers romains, vendaient au public des partes et des particulæ, tout comme nos agens de change ou nos banquiers nous vendent des actions[1]. Il y a eu une Bourse, c’est-à-dire un marché des valeurs mobilières, dès qu’il y a eu des valeurs mobilières. Chez nous, en France, Paris possédait déjà une Bourse sous Louis XIV et sous Louis XV, à une époque où juifs allemands ou juifs portugais, ashkenazim ou sephardim étaient à peine tolérés dans quelques auberges des faubourgs[2]. On y spéculait, entre chrétiens, sur les assignations, sur les rentes, sur les bons du trésor, sur le produit des fermes. Le nom de la rue Quincampoix où se tint, quelques années, cette Bourse indigène, n’a pas encore été rayé de l’histoire de la Régence. Au temps de Law, nous étions bien entre Français de France, et nos pères n’en agiotaient pas moins sur le Mississipi, avec autant d’entrain que naguère tant de bons chrétiens sur l’Union Générale. La Bourse n’est même pas toute moderne ; on en trouve l’embryon au moyen âge, dès le XIVe siècle, sous le lys rouge de Florence, et Venise pourrait dire que le lion de Saint-Marc l’a couvée de ses ailes. Ces nobles républiques italiennes, l’orgueil de notre race, pratiquaient déjà la vente à terme se soldant par des différences. Plus tard, ce fut le

  1. Voyez les Manieurs d’argent à Rome, par Antonin Deloume: Paris, Thorin.
  2. Voyez M. Kahn, les Juifs de Paris sous Louis XV.