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de la Bourse. Pour qui a vécu à cette pâle aurore du relèvement de la France, cet entrain de la Bourse et des capitaux à nous offrir les milliards dont nous avions besoin dépassait les ardeurs et les audaces de la spéculation ; mais quand on n’y voudrait voir que jeu et pari de spéculateurs, la spéculation a joué sur le relèvement de la France ; elle a bravement parié pour le vaincu. Ces financiers, nationaux ou exotiques, qu’on accuse de s’être abattus sur elle comme des oiseaux de proie, ont apporté à la noble blessée leurs écus et leur crédit ; et s’ils en ont eu leur récompense, est-ce à nous de le leur reprocher, à nous qu’ils ont aidés à refaire nos armées, notre flotte, nos arsenaux? Si la France a été si prompte à reprendre son rang dans le monde, le mérite en revient, pour une bonne part, à la Bourse. Et, aux services de la guerre, nous devons ajouter, si nous voulons être équitables, les services de la paix. Sans l’ampleur du marché de Paris et l’élan donné à nos ressources par la spéculation, que de choses eussent été impossibles à nos finances si témérairement surmenées! Nous n’aurions pu, ni compléter notre réseau de chemins de fer, ni renouveler notre outillage national, ni nous créer, au delà des mers, un empire colonial qui refera de la France une des grandes puissances du globe. Quand on juge la Bourse, ce sont là des titres qu’on n’a pas le droit d’oublier; avant de la condamner, au nom de la morale ou des intérêts privés, un patriote doit peser les services rendus à l’intérêt national : qu’on entasse sur un plateau de la balance tous ses défauts et ses méfaits, de pareils services leur font bien contrepoids.

Prenez garde, nous diront antisémites ou anticapitalistes, en faisant valoir les bons offices de la Bourse envers la France et envers l’Etat, vous proclamez sa puissance. Vous avouez son ascendant sur l’Etat, vous reconnaissez que, à certaines heures, les gouvernemens peuvent être contraints de compter avec elle. Or. le mal, en politique comme en bonne morale, c’est précisément la puissance de la Bourse, la prépondérance de la Bourse. — Soit, d’accord; mais cette prépondérance qu’aucun honnête homme ne saurait tolérer, elle n’existe pas en fait; la puissance même qu’on prête à la Bourse et aux gens de Bourse, on est singulièrement porté à l’outrer, car, de ce qu’elle aide l’Etat dans ses emprunts ou ses conversions, il ne suit nullement que la Bourse tienne les gouvernemens dans une dépendance honteuse. Ce qui n’est pas vrai de la haute banque l’est encore bien moins de la