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son jugement. Ils commettraient d’étranges bévues, ceux qui voudraient prendre la hausse ou la baisse comme le baromètre de la félicité publique et la mesure de l’art de gouverner. Nous avons vu, durant les quinze dernières années, des ministres, qui ne consultaient guère l’opinion de la Bourse, nous donner, impudemment, la hausse des rentes comme une justification de leur politique et une preuve de la prospérité du pays. Or, cette hausse des rentes et des valeurs à revenus fixes, loin d’être toujours un signe de la prospérité générale et un gage de l’activité des affaires, est parfois un indice de la stagnation des affaires. Les capitaux ne pouvant s’employer, avec profit ou avec sécurité dans le commerce ou dans l’industrie, refluent sur la Bourse et se réfugient dans les rentes et les obligations. C’est un peu là, en France, l’histoire de nos dernières années; si la hausse a longtemps prévalu sur le marché de nos rentes, nos gouvernans n’ont pas le droit d’en être bien fiers.


V

On affecte de parler de la puissance de la Bourse sur les peuples contemporains, comme si elle avait vraiment courbé les nations sous son joug. On oublie que, si elle est une puissance, ou mieux une force, ce n’est pas seulement à l’intérieur, vis-à-vis des nationaux, c’est aussi au dehors, vis-à-vis de l’étranger. Veut-on considérer la question en patriote, il ne faut pas seulement voir la place que la Bourse tient en France, mais-aussi la place que la Bourse fait tenir à la France en Europe Or, ici, aucun doute, le marché de Paris est une des forces vives de la France dans le monde. Bien plus, — car un peuple doit savoir se dire ses vérités pour désagréables qu’elles soient, nous devons confesser que, dans l’état actuel de l’Europe et du monde, la Bourse de Paris est peut-être, aux yeux des nations, la principale force de la France.

Les autres, celles qui nous tiennent le plus à cœur, celles dont nous aimons le plus à nous relever vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis d’autrui, notre science, notre littérature, notre art français; ou encore, nos armées, nos arsenaux, notre flotte; ou, si vous êtes chrétien, nos prêtres, nos missionnaires, nos religieux, nos œuvres de toutes sortes ; — nos grandeurs intellectuelles ou nos richesses spirituelles, en un mot, les seules dont, pour ma part, il me convienne d’être fier, nos rivaux sont, par jalousie