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ou par ignorance, enclins à les contester ou à en faire fi. Il en va autrement de la Bourse de Paris qui représente, chez nous, la puissance de l’argent, la seule universellement reconnue de ce siècle réaliste. Cette force, qui se chiffre en millions et en milliards, personne ne nous la conteste, et personne n’en fait fi ; l’univers, qui se dit civilisé, s’incline volontiers devant elle. Il faut en prendre notre parti, — sauf à notre génie national d’en appeler devant Dieu et devant l’histoire, — nous valons surtout, dans le monde, par notre argent: c’est lui, le plus souvent, qui nous gagne le respect des hommes et l’amitié des peuples. Les nations, toutes également éprises de la richesse, s’estiment et se cotent les unes les autres d’après leurs capitaux, autant et plus que d’après leurs armées. Si la France fait encore grande figure dans l’univers, elle le doit, pour beaucoup, à la Bourse de Paris. Nous avons eu, à d’autres époques, des primautés plus nobles ; puissent nos enfans avoir l’énergie de les reconquérir ! mais en luttant pour des prix moins indignes de notre passé, n’allons pas dédaigner la royauté qui nous reste, car c’est une puissance qui n’est pas indifférente à notre grandeur nationale. Une Bourse, comme celle de Paris, est un moyen d’action dans le monde et sur le monde. Quoiqu’on fasse, la France contemporaine n’est pas une Lacédémone dont un plagiaire de Lycurgue puisse bannir impunément l’argent et l’or ; et n’en déplaise aux amans de la beauté ou aux panégyristes de la chevalerie, l’Europe moderne n’est pas un monde de preux ou de poètes où il soit permis de régner, uniquement, par le fer ou par l’art. A une époque où la richesse et le bien-être sont le grand souci de tous les cœurs, il n’est pas étonnant que la primauté la plus enviée soit celle de la richesse; et ce serait folie de la part d’un peuple de briser de sa main ce vil sceptre de l’or, quand il l’a trouvé dans son héritage ; — car cela, aussi, nous le tenons de nos pères, et si nous venions à le perdre, je ne sais s’il nous resterait, assez de sagesse, ou assez de vigueur, pour jamais le reconquérir. Rien de ce qui contribue à la force ou à la grandeur de la patrie ne saurait être dédaigné des Français ; et c’est un de nos griefs contre les socialistes, ou contre les antisémites, que, ne feraient-ils qu’appauvrir la France, ils travailleraient, malgré eux, à la diminuer dans le monde et à la découronner aux yeux des peuples. Que s’il y a des Français, s’il y a de soi-disant patriotes qui se préoccupent peu de la place de la France entre les