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pas à tout: et, en se rapprochant de la France, la Russie n’a pas seulement trouvé une armée qui double la sienne, elle s’est procuré ce qu’elle ne possédait pas chez elle, un instrument financier qui devait doubler sa force politique. De ce seul fait, la Russie, en s’alliant à nous, a plus reçu de nous qu’elle ne nous a donné, ne fût-ce que pour cette raison, dont ne saurait se froisser aucun des deux alliés, qu’étant plus riche, la France avait plus à donner. La Russie était tributaire du marché de Berlin; nous l’avons émancipée de ce vasselage que, à certaines heures, les tracasseries de M. de Bismarck avaient rendu gênant. Les millions et les milliards exigés par ses armées, par ses flottes, par ses lignes stratégiques, par son merveilleux transsibérien, par son outillage militaire ou industriel, la Bourse de Paris les a largement offerts à la Russie, et cela, pouvons-nous dire, à un taux sans précédent pour le trésor russe. Nos sympathies françaises, les ministres du tsar ont pu les monnayer en bons roubles d’or, à la Monnaie de Paris; et, en ami qui ne compte pas avec ses amis, notre peuple a été reconnaissant aux Russes de l’appel fait à ses écus. Grâce à nous, la Russie, affranchie du papier, va pouvoir reprendre les paiemens en espèces ; le cours forcé ne menacera plus de faire fondre ses finances, comme le soleil du printemps fait fondre ses palais de glace. Nous sommes devenus son banquier ; elle s’est presque annexé la Bourse de Paris. Il n’y a guère qu’une année, en Extrême-Orient, après avoir eu l’appui de notre diplomatie, elle a réclamé le concours de nos Banques, afin de prendre une sorte d’hypothèque sur la Chine ; c’est encore nous qui avons avancé les fonds, et c’est elle, en donnant sa garantie, qui en a eu tout le profit politique aux yeux des Célestes. Entre la Russie et la France, les liens les moins forts ne sont pas ceux noués par la corbeille des agens de change ; on peut dire, à tout le moins, de l’entente franco-russe, que l’œuvre du quai d’Orsay a été complétée et renforcée par la Bourse de Paris.

Ainsi donc, cette Bourse, tant vilipendée, est un des facteurs de notre grandeur nationale. La supprimer, la mutiler, la paralyser serait diminuer, de nos propres mains, notre influence dans le monde, nous frustrer nous-mêmes d’une arme puissante. Cette supériorité d’avoir un marché financier où se peuvent traiter, en quelques jours, à toute époque, des affaires colossales, nous avons l’avantage de la posséder ; est-il de notre devoir de nous en dépouiller au profit de nos rivaux? Car, à cet égard aussi,