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les dix shillings servent à louer des pleureurs pour son enterrement.

Dans ce genre « rosse », l’histoire d’Une Conversion est tout à fait impayable. Un certain Scuddy Long, voleur de profession, se sent pris un jour d’aspirations mystiques. Il entre dans une chapelle de l’Armée du Salut, écoute le sermon, chante les hymnes, confesse ses péchés avec une componction exemplaire: après quoi il sort, l’âme rassérénée, et, rencontrant sur son chemin une vieille marchande boiteuse qui compte sa recette, il profite d’un mouvement qu’elle fait pour lui enlever tous ses sous. « Il ne courait même pas, sachant que la vieille était boiteuse, et d’ailleurs ne l’avait pas entendu. Non décidément, comme il se le disait déjà en chantant les hymnes, la journée n’avait pas été sans profit pour lui : car voilà qu’il lui tombait du ciel un bon souper chaud ! »

D’autres fois, c’est en compagnie de Guy de Maupassant que M. Morrison explore sa rue de l’East-End ; car deux ou trois de ses contes rappellent de fort près les anecdotes normandes de l’auteur de la Ficelle. Ainsi le conte intitulé En Affaires : un ouvrier mouleur, Munsey, marié à une femme qui le méprise parce qu’elle est fille d’un employé des docks, apprend un jour qu’un de ses oncles, en mourant, lui a légué cent livres sterling. Il voudrait mettre cet argent de côté, et continuer son travail ; mais sa femme entend devenir une bourgeoise ; elle loue une boutique, s’installe en grande pompe, achète des marchandises défraîchies à un commis voyageur, et a si vite fait de perdre les cent livres qu’un beau matin son mari s’enfuit, prenant à son compte les dettes du ménage, de façon à pouvoir tout ensemble tirer sa femme d’embarras et s’affranchir lui-même de la société de sa femme. On trouvera peut-être que sa fuite ressemble un peu trop à celle de « cette brute de Simmons », dans un conte précédent. Mais M. Morrison ne craint pas ce genre de monotonie : trois de ses contes au moins, sur une dizaine, ont pour sujet des ouvriers brusquement enrichis, et non moins brusquement dépouillés de leur héritage. Il lui suffit que les circonstances diffèrent : et, de fait, on sent qu’il les a variées autant qu’il a pu.

Il a pris grand soin, aussi, de la couleur locale : et le cadre de la plupart de ses histoires a vraiment un cachet très particulier. Mais dans ce cadre, ce sont de vieilles histoires de chez nous que nous retrouvons ; des histoires qui d’ailleurs, avant de pénétrer en Angleterre, ont déjà beaucoup voyagé en divers pays, car dans toutes les villes où l’on a fondé des Théâtres-Libres c’est elles, surtout, qu’on y a transportées. Aussi bien il n’y en a pas qui demandent moins d’efforts d’imagination,