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borner à nous la décrire il s’est mis en devoir d’y indiquer des remèdes.

La valeur artistique de ses descriptions n’en a été, d’ailleurs, nullement diminuée. Peut-être l’ironie est-elle moins légère dans l’Enfant du Iago que dans les Contes ; mais le style, comme nous l’avons dit, y est devenu plus simple ; et l’analyse, en même temps, s’est sensiblement affinée. Il ne nous semble pas que, même en France, le naturalisme ait produit beaucoup d’œuvres plus vivantes, plus colorées, et d’une plus parfaite tenue littéraire. Quelques récits de batailles, çà et là, auraient gagné à être abrégés : encore ne pouvons-nous les apprécier qu’à notre point de vue continental, et l’on nous dit qu’en Angleterre ce sont eux, précisément, qui ont assuré le succès du livre. Mais les scènes d’ivrognerie, les vols, les naissances et les morts d’enfans, sont d’une touche si vraie et si naturelle que nous soupçonnons le révérend Jay d’avoir joint son expérience propre aux observations de M. Morrison, pour donner à la peinture une portée plus profonde. Et puisque c’est, aussi bien, cette portée morale qui constitue à notre avis la réelle originalité d’Un enfant du Iago, il est temps que nous fassions voir comment elle s’y trouve, sous les apparences d’un naturalisme sceptique et gouailleur.

Dicky Perrott, le héros, est, au début du livre, un gamin de huit ans. Son père a eu autrefois du travail ; mais l’usine a chômé, et, de ruelle en ruelle, les Perrott ont fini par échouer dans cette sinistre Cour du Iago, où il n’y a personne qui vive honnêtement. Une nuit, après avoir rôdé par les rues de l’East-End, Dicky rentre dans le taudis familial. Le père n’est pas revenu encore ; et tout en berçant sa petite sœur, qui tarde à s’endormir, Dicky demande à sa mère s’il n’y a pas « quelque bon coup en train. » La malheureuse femme commence bien à s’apercevoir, en effet, que son mari fait de longues absences, et l’argent qu’il lui rapporte au retour n’est pas sans l’inquiéter un peu. Mais elle s’efforce de n’y point penser : et son fils, au contraire, ne manque pas à lui fournir les éclaircissemens les plus détaillés. « Les honnêtes gens sont des niais, lui dit-il. Kiddo Cook me l’a affirmé, et il est très fort. Quand je serai grand, je m’engagerai dans la Haute Pègre. C’est là qu’on fait de beaux coups ! » Puis le père rentre, harassé et un peu ivre. « Tiens, dit-il à sa femme, mets cela dans l’armoire ! » Et Dicky, de son lit, entend le bruit d’un objet que sa mère dépose au fond d’un tiroir. « Entr’ouvrant les yeux, il vit au-dessus de sa tête le ciel, d’un gris pâle ; et il s’endormit, avec l’espoir que le coup avait