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à présenter au monde que celles dont est émaillé le discours du chancelier de l’Échiquier. On se demande parfois si cette préoccupation inquiète et constante du cabinet anglais est étrangère à la mobilité qu’on constate dans sa conduite, à la versatilité qu’on relève dans son langage. La question d’Egypte disparait un peu, ou du moins elle perd de son relief dans l’ensemble des affaires d’Orient; mais si ces affaires viennent à se régler, et si elles se règlent sans que l’intégrité de l’Empire ottoman ait subi aucune atteinte, elle reviendra au premier plan sans qu’on puisse trouver dans les événemens de la veille aucun prétexte à invoquer pour la résoudre au gré des ambitions britanniques. De là — peut-être — ces fluctuations singulières, bizarres, contradictoires, difficiles à expliquer autrement, dans une politique qui est tantôt si dure pour le sultan, et qui tout à coup se montre pour lui plus indulgente ; qui encourage toutes les espérances arméniennes, au risque d’amener des déceptions qu’on peut, dans tous les sens du mot, qualifier de cruelles; qui prêche l’union de l’Europe et s’efforce de l’établir sur une proposition définie, et qui, après y avoir réussi, émet publiquement des doutes sur la parfaite exactitude d’un fait qu’elle regardait la veille comme assuré. Il est certain que le discours de sir Michaël Hicks-Beach, si nous n’avions pas fait de grands progrès en circonspection et en prudence, était de nature à produire chez nous une explosion de sentimens révoltés, et c’est pour le moins jouer avec le feu que de prononcer de pareilles paroles en un pareil moment. Rien n’a troublé notre sang-froid. La parole la plus importante à nos yeux du discours de M. Hanotaux a été pour faire entendre que nous devions tout subordonner, même nos susceptibilités légitimes, à l’intérêt supérieur de l’union à maintenir entre les puissances. Cette union si désirable sera probablement soumise à d’autres épreuves encore; mais on ne nous contestera pas le mérite d’avoir aidé à en traverser quelques-unes, et d’y avoir, comme on dit, largement mis du nôtre. Il faut rendre justice à tout le monde. Nous rendons à lord Salisbury celle de reconnaître qu’il a pris la première initiative d’où est sorti le concert actuel ; mais après avoir établi ce concert, les ministres anglais l’ont en vérité exposé à bien des aventures où il aurait pu subir quelques atteintes ; et si c’est eux qui l’ont fait, nous avons certainement contribué à le maintenir jusqu’ici à peu près intact.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.