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tranchée pour qu’on ne soit pas tenté d’exagérer l’influence que notre ambassadeur a pu avoir sur lui ; mais il n’y a aucune exagération à dire que M. Lefebvre de Béhaine a tout facilité. Si on juge du mérite d’un diplomate par les rapports qu’il a établis ou resserrés, entre le gouvernement qu’il représente et celui auprès duquel il est accrédité, il faut reconnaître que celui de M. Lefebvre de Béhaine n’a pas été ordinaire, surtout lorsqu’on songe qu’il représentait la République française, encore toute frémissante de luttes politiques où les intérêts religieux avaient été maladroitement mêlés et compromis, auprès de la puissance spirituelle la plus haute, et, si on nous permet un mot qu’on applique aujourd’hui à tant de choses, la plus impériale du monde entier. Si on examine l’état de nos rapports au commencement de la mission de M. Lefebvre de Béhaine, et si on les compare à ce qu’ils étaient à la fin, on mesure le progrès accompli, et quelle que soit la part qui en revient à l’initiative spontanée du Saint-Père, notre ambassadeur a eu aussi la sienne. Il serait d’autant plus injuste de la lui disputer, que les partis politiques, en France, lui en ont fait un grief. L’heureuse influence que l’attitude et les conseils de Léon XIII ont eue sur le développement de notre politique intérieure n’a pas été appréciée par tous de la même manière. Les radicaux n’ont pas cessé d’accuser un ambassadeur qui avait peut-être contribué à amener les ralliés jusqu’au seuil de la République, puis à le leur faire franchir ; et, lorsqu’ils ont été au pouvoir, ils n’ont eu rien de plus pressé que de se débarrasser de lui. De toutes les fautes qu’ils ont commises, celle-là était de leur part la plus logique : personne ne s’en est étonné, beaucoup s’en sont affligés. M. Lefebvre de Béhaine, bien qu’il fût encore dans la force de l’âge, avait droit à la retraite : il l’a acceptée avec simplicité, comme il faisait de toutes choses. Sa vie active était finie, mais il avait beaucoup vu, beaucoup retenu, et il avait sans doute beaucoup à raconter. Il cherchait à servir son pays sous une forme nouvelle, en l’éclairant, en le renseignant. Le fragment que nous publions permet seulement de deviner ce qu’auraient pu être les études auxquelles il comptait se consacrer désormais. C’est une espérance qui s’en va dans la tombe ; mais il reste le souvenir qu’une carrière aussi bien remplie a laissé à tous ceux qui, même tardivement, en ont été les témoins.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.