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quelques arrêts obligatoires pour gagner de quoi continuer son voyage, pénètre dans la capitale (1831), l’industrie du bâtiment y est paralysée par les troubles ; il est contraint d’aller s’embaucher comme terrassier au fort de Vincennes.

Il n’y resta pas longtemps ! Remarqué par les contremaîtres, il reprend son état et obtient d’exécuter à la tâche, sur des parties de façade, cette ouvraison délicate de la pierre qui s’appelle le « ravalement ». Employé ensuite comme chef de chantier, il commence à acheter sur ses épargnes un petit matériel d’entrepreneur ; car déjà les architectes lui confient des immeubles. Bien que dénué de tout capital, son application, son intelligence lui avaient valu cette première richesse : le crédit. Grâce à lui, il obtient sans débours les fournitures nécessaires au commencement de la bâtisse : et comme, par ses marchés, chaque étage lui était payé à mesure que la construction s’élevait, il désintéressait à son tour ses créanciers, Les bénéfices ainsi réalisés lui permettent, à dater de 1838, de voler de ses propres ailes.

Il venait de s’unir à une jeune fille qui, à défaut d’argent, — elle possédait 6 000 francs de dot, — lui apportait la collaboration d’une associée infatigable. Mme Thome tenait les comptes de son mari, mais elle ne pouvait le suppléer dans les détails techniques de sa profession. Or le mari lui-même n’avait reçu aucune éducation. Un prêtre de la paroisse de Chaillot se chargea de son instruction primaire ; il prenait en outre chaque soir, en rentrant du travail, une leçon de coupe de pierres d’un maître du voisinage, nommé Thomas, demeuré son ami et qui survit à son élève. Il est aujourd’hui âgé de 91 ans. Ce fut en effet à Chaillot, dans ce quartier où il est mort après l’avoir transformé, que Joseph Thome était pour la première fois devenu propriétaire. Il avait acquis pour quelques milliers de francs un terrain de 2 000 mètres, rue Newton, où il avait édifié vaille que vaille, avec des matériaux de rencontre, son habitation et ses ateliers. Il 9e trouvait là dans un désert et comme à la campagne.

On parle souvent de la tendance naturelle des villes à se pousser du côté de l’ouest ; elle n’est pas du tout établie : Paris, qui eut pour berceau l’île de la Cité, s’étendit d’abord au sud vers le « pays latin » et le faubourg Saint-Marcel : puis au nord vers les Halles ; pointa au XVe siècle et pendant deux cents ans de suite du côté de l’est, jusqu’au château de la Bastille, dans ce Marais où la tradition veut que Camulogène ait embourbé César ; envahit