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le gouffre après une dernière imprécation contre l’ordre de choses existant. Redevenu cultivateur aisé, le fils de Véronique peut épouser la fille de l’industriel réduit à l’indigence et reconnu innocent. Et c’est le triomphe de la pitié en même temps que celui de la justice, et la procession descend parmi les blés, bénissant les récoltes blondes, et nous


Célébrons tous en ce beau jour
Le travail, l’hymen et l’amour.


comme on chantait dans un bon vieil opéra oublié qui s’appelait, je crois, Guillaume Tell.

Mais dans Guillaume Tell il n’y avait pas de symbole. Tout est symbole dans Messidor. Il ne vous a point échappé que Messidor symbolise la lutte de l’or et du blé et la victoire définitive du blé. C’est le conflit entre deux élémens, deux produits ou deux « valeurs ». C’est le triomphe des céréales sur les ruisseaux aurifères ou aurigères (aurigera, Ariège). Enfin, et plus largement, c’est la manifestation par la poésie et la musique, ou, comme ils disent aujourd’hui, par le son et par le « verbe », de la supériorité économique et morale de l’agriculture sur l’industrie. Voilà l’idée principale. Il en résulte naturellement quelques idées secondaires, plus ou moins favorables à la poésie et à la musique : l’idée du monopole, celle de l’antagonisme entre le capital et le travail, et cette autre — un peu plus spéciale — des avantages ou des inconvéniens respectifs du lavage à la main et du lavage mécanique des sables contenant des parcelles d’or. Agricole, social, industriel, anarchiste, nihiliste, l’opéra de Messidor est enfin un opéra hydrographique. Il l’est même profondément ; car il enseigne, à l’encontre des notions courantes, mais superficielles de l’irrigation, que, pour arroser la terre et la féconder, il est bon que les rivières coulent non pas dessus, mais dessous.

Au symbolisme des choses répond le symbolisme des gens. Pas un personnage qui ne soit un résumé et un type. Un berger — dont j’ai pu vous celer l’existence et le rôle de sermonneur — est le berger en soi, le pasteur non seulement des bêtes, mais des hommes. Il est le gardien, le solitaire, ou plutôt la Solitude. Il élève la vie alpestre, la paresseuse contemplation des nuages qui passent, à la dignité d’une mission sociale, d’une « éternelle besogne, la plus noble et la plus utile, sans laquelle ; les hommes mourraient de tristesse et d’égarement ». Quant à Véronique, toujours inspirée et vaticinante, véritable pythonisse de l’Ariège, elle est « la croyante et la Française ; » elle est « l’antique foi, si grande encore, et qui attend d’être remplacée par