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par antithèse, à la Dame Blanche. C’est une sorte de Dame Blanche après Wagner. On peut y retrouver quelque chose de la « rose blanche de l’Opéra-Comique français », comme l’appela jadis Hanslick, mais de cette rose plongée en des eaux étrangères et lourdes, qui l’ont pétrifiée. Tout s’est durci, figé sous l’alluvion funeste. Le charme, le naturel, la grâce est morte, et rien qu’en comparant les deux œuvres — comparables après tout, car elles sont l’une et l’autre du genre moyen ou tempéré — l’on pourrait mesurer ce qu’en soixante ans ce genre ou cet idéal a perdu.

J’en demande bien pardon au librettiste de Kermaria, mais, de Scribe ou de lui, c’est encore Scribe le poète. Sur la légende bretonne la légende écossaise garde tous les avantages, celui du style compris. Dans les ruines hantées, Yvon, un paysan, évoque ainsi « la fille bleue » qui les habite :


Vision pure et coutumière,
Ma fée aux frêles mains,
Connue en des cieux surhumains,
Où durant de longs jours m’emportèrent mes rêves,
Que les verbes divins s’exhalent de vos lèvres !


J’aime mieux : Viens, gentille dame ! tout simplement. Et dans le duo de Boïeldieu, le duo de « la main si jolie », je ne regrette pas de ne point entendre parler d’amour en ces termes :


Nous nous aimerons sans jamais connaître
Le sommeil du cœur, la nuit des pensers ;
Nos âmes verront à jamais renaître
Les lis éternels de nos longs baisers.


Voilà comme on fait aujourd’hui deviser au clair de l’une et pendant quelque trois quarts d’heure, un sergent breton et sa payse. Lui, s’obstinant à prendre sa fiancée pour la fille bleue, hôtesse du vieux manoir, ne veut plus voir, aimer en elle que l’apparition et non la femme. Jadis c’était la femme au contraire que dans l’apparition devinait, aimait tout de suite le chevalier d’Avenel. A peine il avait effleuré les doigts de la nocturne visiteuse, qu’il en sentait vivante la douceur, et derrière le mystère aussi léger que la blanche mousseline, il entrevoyait aussitôt plus qu’un fantôme et qu’une ombre d’amour. Cela n’était-il pas plus naturel, et sous le romanesque de l’aventure n’y avait-il pas alors, avec plus de bonhomie, plus de vraisemblance et d’humanité ? Prenons garde : si la musique s’alourdit en France, il semble parfois que le théâtre, — je parle du théâtre lyrique, — s’écroule et s’évanouisse en fumée comme un château de féerie. On finira par