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ont toutes un intérêt plus grand au maintien de la paix, intérêt certain et positif, qu’elles ne pourraient en avoir à la poursuite d’avantages hypothétiques, à travers la complexité des aventures où quelques imaginations ardentes voudraient les engager. Ce bon sentiment ne saurait être durable qu’à la condition d’être unanime. On connaît l’histoire, si bien racontée par notre fabuliste, du chien qui défendait le dîner de son maître. Il fit courageusement face aux agresseurs. Mais, après avoir constaté l’inutilité de ses efforts, il n’eut plus d’autre préoccupation que de prendre, aussi large que possible, une part du gâteau que les autres se disputaient déjà. Qui pourrait lui en faire un crime ? L’Europe, actuellement, est dans la première phase, la phase conservatrice : il ne faudrait peut-être pas grand’chose pour la faire entrer dans la seconde, la phase révolutionnaire.

Mais rappelons d’abord les faits qui se sont succédé depuis quelques jours : nous pourrons ensuite revenir à des considérations plus générales. L’Europe, — et on ne dira pas qu’elle l’ait fait sans réflexion suffisante, car elle y a mis longtemps, trop de temps peut-être, — l’Europe a adressé des notes à la Porte et à la Grèce. Il y en a eu deux, mais nous n’en connaissons qu’une, celle qui a été remise à Athènes, et l’indifférence avec laquelle l’opinion s’est accommodée partout à ignorer la seconde montre qu’elle n’y attachait qu’une importance subsidiaire, parce qu’elle savait bien qu’aucune résistance sérieuse n’était à craindre de la part du sultan. Tout le monde a lu la note adressée au gouvernement hellénique et la réponse de celui-ci ; mais où est la note adressée à la Porte, et où est la réponse qui y a été faite à Constantinople ? On sait seulement, et encore sous bénéfice d’inventaire, que la Porte a accepté en principe l’autonomie administrative de la Crète, ce qui est beaucoup sans doute, mais ce qui laisse dans l’ombre la question du moment et des conditions où les troupes ottomanes seront retirées de l’île. On a appris après coup que l’Europe avait exprimé à ce sujet des volontés successives ; qu’elle avait commencé par ne demander rien de précis à la Porte ; qu’elle avait exigé ensuite que les troupes ottomanes se concentrassent dans certaines villes maritimes ; qu’elle ne s’était bientôt plus contentée de cela, et que, dans l’espoir d’amadouer la Grèce, elle avait imposé à la Porte l’obligation de retirer ses troupes en même temps que la Grèce retirerait les siennes. On escompte d’avance la soumission des Turcs à toutes ces exigences. On ne s’intéresse pas à eux. Tout l’intérêt dramatique se porte vers la Grèce, parce que c’est de ce côté seulement qu’on s’attend à de l’imprévu. Et il faut convenir