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militaires comptaient dans leurs rangs des soldats, et étaient conduites par des officiers grecs. Le jour où l’Europe aurait confié au colonel Vassos le mandat que son gouvernement revendique pour lui, qu’arriverait-il ? Si les insurgés crétois continuaient à tenir campagne, le colonel Vassos se tournerait-il contre ses alliés de la veille, contre des troupes qu’il a lui-même commandées ? Si les insurgés se soumettaient, — ce qui n’est pas impossible, puisque l’appui et le concours de la Grèce a été leur force principale depuis quelques semaines, — le colonel Vassos serait effectivement le maître de l’île ; l’objet de son expédition serait atteint ; son entreprise, qui paraissait téméraire, serait justifiée par l’événement. Alors, on pourrait faire un plébiscite, comme le suggère le gouvernement hellénique, ou se dispenser de cette formalité oiseuse. Dans un cas comme dans l’autre, l’annexion de la Crète à la Grèce serait un fait accompli. Mais que deviendrait alors le programme des puissances ? Nous ne tenons pas à ce programme en lui-même et pour lui-même. Si un jour le sultan doit renoncer à la souveraineté purement nominale qu’il s’agit aujourd’hui de lui maintenir sur l’île, il ne perdra pas grand’chose, et l’Europe, sans aucun doute, n’y fera pas plus d’opposition qu’elle n’en a fait à la série d’événemens qui ont placé la Roumélie orientale sous l’administration et le gouvernement directs du prince de Bulgarie. Il faut laisser le temps faire son œuvre ; il est galant homme, comme disent les Italiens ; il arrange bien des choses, quand on ne le brusque point par trop d’impatience. La volonté des populations ; pourvu qu’elle soit sérieuse, réfléchie, éprouvée par sa propre durée, est à nos yeux chose infiniment respectable ; et si les Crétois ont d’une manière inébranlable celle de devenir Grecs, on le verra bien. Qui pourrait alors y résister ? Fata viam invenient ! Mais cette volonté ne s’est pas encore manifestée d’une manière décisive, et les Grecs, s’il faut le dire, n’ont pas l’air d’y avoir grande confiance lorsqu’ils proposent de lui donner l’occasion de se produire dans une parodie de plébiscite, à l’ombre des baïonnettes du colonel Vassos. Nous irons plus loin. Quand bien même les Crétois seraient résolus à s’annexer à la Grèce, l’Europe conserverait le droit, dans un intérêt supérieur, celui de la paix générale, d’imposer quelques conditions, ou quelques délais à l’accomplissement de ce désir. On a beaucoup abusé, dans une période encore récente de l’histoire de l’Europe, de la volonté vraie ou prétendue des populations pour opérer certaines réunions de territoires. On s’est servi de ce principe lorsqu’on l’a estimé utile ; on l’a dédaigné et mis de côté lorsqu’on a cru plus court de s’en passer, ou lorsqu’on a craint qu’il ne se tournât contre le