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le condamner d’une manière absolue ; et il y a, en tout cela, des nuances à observer que l’on n’observe guère au milieu des passions de parti, et que M. Hémon a méconnues. La Chambre les a méconnues encore davantage. Pourquoi cela ? Cette même Chambre qui, tout récemment encore, s’est montrée à peu près insensible aux déclamations anticléricales des radicaux, s’est subitement enflammée à la chaude éloquence de M. Hémon. Est-ce parce que M. Hémon est un membre de la majorité et qu’on ne se défiait pas de lui ? Est-ce parce que les élections approchent, et que les intérêts électoraux prennent la première place dans toutes les préoccupations ? Ici encore, il faut distinguer. Les uns ont cru peut-être qu’ils devaient se montrer violemment anti-cléricaux, parce que leurs électeurs le sont. D’autres ont pu penser, tout au contraire, que les électeurs commençaient à leur échapper, parce que la tendance irrésistible des esprits vers une tolérance plus humaine avait fait naître des besoins moraux dont ils n’étaient plus, et dont leurs antécédens les empêchaient de devenir les représentans. Y avait-il du fanatisme ou de la crainte dans les sentimens auxquels la Chambre a obéi ? Personne ne peut le dire, car personne ne connaît le secret des consciences. Il y a eu, en tout cas, une reprise d’un vieux mal insuffisamment guéri : l’avenir montrera si elle est plus ou moins grave. Rechute passagère, peut-être, provoquée par des causes très diverses, et dont quelques-unes sont tout à fait accidentelles puisqu’elles tiennent à la personne de M. l’abbé Gayraud qui n’a pas conquis du premier coup les sympathies de la majorité, ou à celle de M. Hémon qui les possédait depuis longtemps. Le symptôme reste sérieux, sans qu’il faille s’en alarmer outre mesure. Le mouvement qui se produit dans l’opinion est trop profond pour être aujourd’hui enrayé par une simple imprudence de la Chambre. Pour faire, ou pour recommencer la guerre, il faut être deux ; et si le clergé catholique s’obstine à ne pas répondre aux appels qu’on lui adresse, s’il continue de désarmer, s’il persiste dans la voie où le pape l’a sagement engagé, que pourront y faire les socialistes, les radicaux, et même la majorité républicaine actuelle ? Le cas de M. l’abbé Gayraud, qui n’était peut-être pas bien intéressant en lui-même, le devient au moins par un côté. Les Bretons ont la réputation d’être tenaces et entêtés. On verra bien, entre la Chambre et eux qui aura le dernier mot.


FRANCIS CHARMES

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.