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choix, les courtisans qui connaissaient les dessous de la cour reconnurent immédiatement la main du gouverneur, et pressentirent l’influence qu’il allait exercer. L’abbé Fleury, que son Histoire ecclésiastique n’avait pas encore rendu célèbre, était cependant un choix personnel du Roi qui le connaissait pour avoir été précepteur du comte de Vermandois, un des enfans qu’il avait eus de Mlle de La Vallière. Il en était de même du choix de Moreau, fort honnête homme, très au-dessus de sa condition, dont Saint-Simon parle avec beaucoup d’estime. Mais tous les autres comptaient parmi les amis ou les relations personnelles du duc de Beauvilliers. « Denonville, dit Saint-Simon[1], ancien gentilhomme de bon lieu et brave homme, décoré du gouvernement de Canada où il avoit bien fait, étoit la probité, l’honneur et la piété même. » Il est vrai qu’il ajoute : « mais la simplicité aussi, et peu éloignée de la sottise qui le rendit une nulle (nullité) méprisée. » Nous le retrouverons auprès du duc de Bourgogne quand celui-ci fera campagne. Du Puy et L’Echelle étaient deux gentilshommes que leur dévotion avait fait connaître de Beauvilliers, l’un, toujours au dire de Saint-Simon, « ce qui est rare à un dévot de cour, fort honnête homme, fort dévot, fort sûr, et avec peu d’esprit, sensé et l’esprit juste, fidèle à ses amis, sans intérêt, ayant fort lu et vu et beaucoup d’usage du monde » ; l’autre « dévot de bonne foi aussi et plein d’honneur, mais un des plus plats hommes de France, pédant, triste, excepté des saillies plaisantes quelquefois, tout sulpicien. »

S’il ne fallait toujours un peu rabattre des vivacités de Saint-Simon, on en devrait conclure que ces choix, inspirés par Beauvilliers étaient, au point de vue moral, irréprochables, mais, à tout autre point de vue, assez inférieurs. Gouverneurs ou gentilshommes de la manche, il est évident que pour chacun la piété avait été la raison principale et déterminante. Il en était un cependant qui devait relever tous les autres et qui suffit à la gloire de Beauvilliers : c’était celui du précepteur, fonction importante entre toutes, dont le nouveau titulaire était encore peu connu à la cour, mais au nom duquel Sourches ajoutait déjà cette mention : « Neveu de feu M. le marquis de Fénelon, lieutenant de roi de la Marche. C’est un homme d’un mérite et d’une capacité extraordinaires[2]. »

  1. Édition Boislisle, t. II, p. 410.
  2. Sourches, t. III, p. 137.