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autres, écrivait-il à la duchesse, je n’ai garde, Madame, de vous oublier : si ce que je désire arrive, après m’avoir fait travailler pour l’éducation des filles, vous me donnerez la peine de faire un mémoire sur celle des garçons[1]. » Ce travail que la duchesse de Beauvilliers avait fait faire à Fénelon, c’est son célèbre traité sur l’Éducation des filles. Après bien des vicissitudes et une assez longue période d’oubli (bien que M. de Sacy l’eût compris dans sa Bibliothèque spirituelle), ce petit livre a eu la bonne fortune de revenir à la mode de nos jours. Un éminent pédagogue, M. Octave Gréard, a fait précéder une édition toute récente[2] d’une introduction fine, judicieuse et mesurée comme tout ce qui tombe de sa plume, où il s’est appliqué à montrer ce qu’il y a de hardi, de moderne et en même temps d’avisé dans les idées de Fénelon sur ce sujet de l’éducation des femmes. Mais ce serait nous laisser entraîner trop loin que de le suivre. Nous voulons seulement relever, dans cet exquis petit livre, ce qui dut frapper l’attention de Beauvilliers, et contribuer plus tard à fixer son choix en lui donnant à deviner quel admirable précepteur de princes se cachait sous ce directeur de femmes. Il est d’ailleurs curieux de voir Fénelon développer en théorie quelques-uns des moyens qu’il appliquera en pratique à l’éducation du duc de Bourgogne.

Les premiers chapitres de l’Éducation des filles sont communs aux filles et aux garçons, car ils traitent de l’éducation des enfans. Fénelon y pose certains principes, ou plutôt (car sa manière n’a rien de dogmatique), il y suggère certaines idées assez étrangères aux éducations d’alors, et qui au contraire sont courantes dans la pédagogie moderne. C’est ainsi qu’il se préoccupe de l’hygiène de l’enfant, dans un temps où ce que nous appelons l’hygiène n’existait pas. « Ce qui est le plus utile dans les premières années de l’enfance, c’est de ménager la santé de l’enfant, de tâcher de lui faire un sang doux par le choix des alimens et par un régime de vie simple; c’est de régler ses repas en sorte qu’il mange toujours à peu près aux mêmes heures ; qu’il mange assez souvent à proportion de son besoin ; qu’il ne mange rien de haut goût qui l’excite à manger au

  1. Lettres inédites de Fénelon, publiées par l’abbé Verlaque, p. 7.
  2. Éducation des filles, de Fénelon, précédée d’une introduction, par Oct. Gréard, de l’Académie française, vice-recteur de l’Académie de Paris ; librairie des Bibliophiles, Paris, 1890. La première édition de l’ouvrage est de 1687.