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Antiope de la même façon qu’il aurait aimé Eucharis, et même Calypso.

On peut penser que, pour venir à bout d’une aussi ardente nature et pour compléter une instruction aussi solide, une grande part avait été faite à l’enseignement religieux. Ecoutons une dernière fois Louville : « Je n’ai rien dit, dans tout ceci, de ce qui regarde l’éducation chrétienne qu’on leur donne, parce qu’elle est répandue sur le tout, et l’on songe bien plus à les rendre chrétiens par les sentimens vertueux qu’on leur inspire et l’éloignement de tous ceux qui pouvaient leur donner de mauvais exemples que par des pratiques extérieures et pénibles qui ne produisent ordinairement d’autres effets, chez tous les enfans qui en sont accablés, que de leur donner, pour le reste de leur vie, de l’éloignement, et quelquefois même de l’horreur pour la piété. » Ce programme était sage, et on y sent peut-être davantage l’influence de Fénelon que celle de Beauvilliers, un peu trop porté à outrer les pratiques de dévotion. Lorsque Fénelon eut été relégué à Cambrai, Louis XIV s’en inquiéta. Il interrogea Beauvilliers, en particulier sur la longueur des exercices de piété qu’il faisait faire au duc de Bourgogne. Le Roi craignait qu’il n’y entrât trop de mysticité. La réponse de Beauvilliers fut : « qu’il ne connoissoit qu’un Évangile, et qu’il croyoit devoir à son Dieu et à son Roy de ne rien négliger pour préparer un prince vertueux à la nation ; que l’on pouvoit savoir du duc de Bourgogne lui-même en quoi consistoient ses exercices de piété auxquels il étoit prêt de substituer le chapelet, si on le jugeoit plus convenable; que, pour fermer la bouche à ceux qui prétendoient que le jeune Prince perdoit son temps en servant Dieu, il osoit les défier de lui produire un seul exemple d’un prince qui à l’âge du duc de Bourgogne eût été aussi instruit qu’il l’étoit, et aussi versé dans toutes les connaissances relatives à son rang. » « Sire, ajouta Beauvilliers, votre Majesté m’a fait ce que je suis, elle peut me réduire à ce que j’étois. Dans la volonté de mon Prince je reconnoîtrai la volonté de Dieu. Je me retirerai de la Cour avec la douleur de vous avoir déplu et avec l’espérance de mener une vie plus tranquille[1]. »

Le Roi n’insista pas, et il eut raison, car si la dévotion du duc de Bourgogne put devenir plus tard un peu excessive, elle demeura toujours de nature excessivement saine. Dès son jeune âge,

  1. Proyart, t. I, p. 72.