Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/574

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suffit d’énoncer pour faire accepter toute autre plutôt qu’elle.

Il raisonnait ainsi au début, dans son Essai sur l’Indifférence ; il ne raisonnera pas autrement à la fin, dans son Esquisse d’une philosophie : « Si le vrai n’était que relatif, n’était que l’acquiescement de la raison individuelle à ce qui lui paraît vrai, il n’y aurait (ce qui évidemment ne se peut pas), il n’y aurait plus rien de vrai ni de faux d’une manière immuable et universelle. « 

Non seulement Lamennais est plein de ce sentiment de l’impossibilité du doute ; mais il en fait l’analyse avec beaucoup de sûreté et de pénétration. Il y rattache l’horreur même, l’horreur apparente des hommes pour la vérité. Nous avons tous remarqué que les hommes qui ont une conviction et même une demi-conviction n’aiment point discuter ni qu’on discute devant eux. Qu’ont-ils à craindre cependant ? Que redoutent-ils, sinon la vérité qui peut sortir de la discussion ? Ils ont donc crainte et horreur de la vérité ? Non pas précisément. Ils ont peur, une fois ébranlés dans leur créance, et ne partageant pas encore celle de leur interlocuteur, une fois placés entre deux doctrines, l’une, la leur, exténuée, l’autre mal connue d’eux encore et où ils ne seront pas entrés pleinement, d’être dans cet état de doute qu’ils sentent à l’avance qui leur sera insupportable. — Ils ont peur, ajouterai-je, que, la discussion de demain s’ajoutant à la discussion d’aujourd’hui, ils finissent par être placés non entre deux doctrines, mais entre cent, ce qui leur paraît un état d’angoisse mortelle ; ils ont peur que la recherche ne conduise qu’à la recherche, ce qui n’est pas loin d’être probable, et l’examen à l’examen, et le tout à l’incertitude, ce dont ils ne veulent absolument point. Il y a des religions qui sont fondées sur cette seule maxime : « On n’examinera plus. On ne recherchera plus la vérité. Il sera entendu qu’on la possède. » Elles répondent à un des instincts, à un des besoins les plus profonds de l’humanité. L’homme a l’air de redouter la vérité ; il redoute la perte de la certitude. Son horreur de la vérité n’est que l’horreur du scepticisme.

Cette horreur, personne ne l’a eue plus que Lamennais. Aussi fut-il toujours croyant. Il le fut de différentes manières, mais il le fut toujours. Ni le « pur pyrrhonisme », bien entendu ; — ni le demi-pyrrhonisme qui fait au doute « sa part », et qui la fait immense, mais qui estime qu’il y a des vérités relatives, des vérités prochaines, se rapportant à l’homme et à l’homme seul.