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là le plus important, sa pensée s’intéressait dans la question, ses idées générales prenaient devant ce spectacle nouveau une direction nouvelle. Si la Révolution est européenne, ce qu’elle demande, ce qu’elle « indique », ce qu’il faut, en tout cas, pour la diriger, c’est un pouvoir spirituel européen. Et c’est bien ici qu’on voit la supériorité comme pouvoir spirituel du catholicisme sur le protestantisme. Le protestantisme dirigerait, inspirerait une révolution locale et finirait du reste par mettre la révolution, même triomphante, sous la main d’un pouvoir temporel local. C’est ce qu’il fit jadis, c’est ce qu’il ferait encore. Le catholicisme peut prendre en sa main la cause de tous les peuples opprimés et à tous donner un point d’appui central, extérieur à eux, et les soutenir les uns par les autres et les réunir dans une action commune. — Et c’est bien ici que l’on voit le véritable caractère de l’Église universelle. Ame de tous les peuples, ils la retrouvent dans leurs besoins pour les soutenir, les animer, les contenir aussi, les diriger en un mot dans leurs luttes légitimes contre leurs souverains d’un jour, et donner à cette lutte à la fois son centre, et son aliment spirituel, et son caractère noble, généreux et élevé. Elle justifie les revendications populaires en les consacrant, et en ne consacrant que celles qui sont honorables et dans la mesure où elles le sont. Ajoutez, ce qui se sous-entend, qu’elle reçoit de cet office une augmentation de force, de majesté et de grandeur. Tel fut son rôle au moyen âge; les événemens indigent que tel doit être son rôle encore aux temps modernes. Et un programme magnifique, infiniment séduisant pour l’imagination du théocrate-tribun, se trace dans toute son étendue, qui est immense, devant les yeux de Lamennais.

Seulement, notez ce point, nous avons perdu bien du temps. Voilà bien des années que le catholicisme n’est plus, en vérité, un pouvoir spirituel. Il ne suffit pas d’être en soi la vérité pour agir efficacement sur l’esprit et le cœur des hommes. Il faut s’inquiéter de ce que les hommes pensent pour faire rentrer, en quelque sorte, leurs pensées, leurs conceptions, leurs inventions et leurs imaginations dans cette vérité générale que l’on possède. Il n’est pas, on peut le dire, a priori, une idée moderne juste, une idée moderne importante, durable, qui ne puisse et ne doive rentrer dans le christianisme comme une vérité particulière dans une vérité générale. Le christianisme étant l’explication véritable de l’ensemble des choses, toute pensée humaine, en ce qu’elle a de