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tenures rurales occupaient dans la Marche électorale les trois cinquièmes du territoire[1]. Dans la Prusse orientale, on peut admettre, d’après les chiffres de la contribution, qu’elles représentaient le cinquième du sol environ. Quelle révolution en Prusse si tous les détenteurs précaires des tenures, représentant, en petites exploitations de 15 hectares au maximum, une superficie aussi étendue, fussent devenus propriétaires du sol et si tous les services et toutes les corvées eussent été liquidés!

Mais si Hardenberg avait l’esprit assez large pour concevoir une œuvre politique de cette portée, la volonté lui manquait pour la réaliser, et peut-être aussi les moyens d’action. L’histoire nous enseigne que des transformations sociales de cette étendue ne sortent point du cerveau d’un homme.

Les obstacles matériels et moraux qui s’opposaient à la réalisation du plan conçu par Hardenberg, apparaissent, sous une forme palpable, dans la résistance des députés du pays.

Huit mois après la date où le projet de Hardenberg avait été présenté aux députés, le chancelier promulguait l’édit du 14 septembre 1811 ; et le simple rapprochement de l’édit définitif et du projet primitif mesure, par les amputations, par les transformations qu’a subies la première épreuve des idées de Hardenberg, ce qu’il restait de puissance aux représentans de l’aristocratie foncière, et ce que l’état de la Prusse opposait d’obstacles insurmontables à la révolution agraire et à la constitution de la petite propriété.

On a comparé les négociations du chancelier avec les députés aux négociations d’un ministère parlementaire avec les Chambres. Et, de fait, ce sont ces députés, désignés par le pouvoir, appelés dans la pensée du chancelier à propager ses idées et à défendre ses projets, qui substituèrent leur initiative à celle de la commission de législation instituée par Hardenberg. La réforme, qu’ils subissaient de mauvais gré, prit, sous leur action, un caractère très différent de celui que le gouvernement lui avait assigné.

Scharnweber, qui fut l’agent le plus laborieux, le plus compétent et le plus actif de la réforme agraire, avait, dès la première séance, fait office de commissaire du gouvernement et développé les idées principales du projet de Hardenberg.

Les représentans de la noblesse se sentirent atteints tout de

  1. Voir Formation de la Prusse contemporaine, pp. 84, 85. — Knapp, 1, p. 75. — Mamroth, Geschichte der preussischen Staats-Besteuerung, p. 273.