Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

États-Unis, une autre femme, Olive Schreiner, tente aujourd’hui de le faire en Afrique avec un autre livre, Peter Halket[1]. L’entreprise est ambitieuse; il s’agit de persuader l’Europe, ses hommes d’État et ses financiers, ses industriels et ses aventuriers, et non plus d’exciter l’indignation des Yankees du Nord contre des planteurs qu’ils jalousaient déjà. Mais Olive Schreiner n’en est pas à son coup d’essai. Elle a déjà remué l’Europe, et le souvenir du succès passé lui donne en elle-même une confiance qui ferait sourire chez toute autre. C’est elle, on s’en souvient peut-être[2], qui a donné le branle définitif, du fond de son Afrique, au mouvement féministe de l’Angleterre. De là, l’incendie a gagné la France, rejoint à travers l’Allemagne les foyers des pays slaves, des terres scandinaves, et embrasé finalement le vieux continent presque entier. On conçoit qu’un triomphe de cette envergure grise un écrivain. Si un roman d’Olive Schreiner[3] a remis en question tant d’idées qui paraissaient définitives, indispensables et comme inhérentes aux sociétés chrétiennes, pourquoi un autre roman n’amènerait-il pas l’Europe à un nouvel examen de conscience, et à un progrès que beaucoup trouveront moins discutable que le premier? Olive Schreiner peut être sûre qu’en Angleterre sa voix sera entendue, sinon obéie; elle y est une personne célèbre, et, si Peter Halket n’est pas une œuvre littéraire parfaite, tant s’en faut, si l’auteur y abuse par endroits de la déclamation et y transforme trop souvent les problèmes d’ordre général en querelles personnelles, son livre, malgré tout, est de ceux qui donnent à penser. Sachons au moins, en France, ce qu’Olive Schreiner avait à dire, car les points d’interrogation qu’elle pose à ses lecteurs ne sont pas spéciaux à son pays; ils s’adressent à nous tous, gens de la race supérieure et civilisée, et qui se croit chrétienne.

Olive Schreiner a le don, précieux pour un apôtre ou un révolutionnaire, — c’est souvent tout un, — de présenter les questions sous une forme vivante et saisissante. Au début de son nouveau livre, Peter Halket, jeune paysan anglais, est assis mélancoliquement auprès d’un feu solitaire, sur une colline déserte du Mashonaland. Peter est venu dans l’Afrique du Sud pour faire fortune, et son premier soin a été de s’attacher à la grande dispensatrice

  1. Trooper Peter Halket of Mashonaland (Londres, 1897).
  2. Voyez la Gauche féministe et le Mariage (Revue du 1er juillet 1896).
  3. The story of an African farm.