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appel à la franchise presque autant qu’à la justice et la pitié.

L’homme se chauffait en silence. Peter le considérait avec curiosité. C’était un blanc, mais d’un type qui ne lui était pas familier. Peter hasarda une question :

« — Un des Soudanais que Rhodes a amenés avec lui, je suppose?

— Non, dit l’étranger; Cecil Rhodes n’a rien à faire avec ma présence ici.

— Oh! fit Peter »

Après un silence :

« — Seriez-vous juif ?

— Oui; je suis juif.

— Ah ! c’est donc pour ça que je ne pouvais pas découvrir de quel pays vous étiez. Vous avez un costume... Il s’interrompit et reprit :

— Vous trafiquez, je suppose? D’où venez-vous? Etes-vous d’Espagne?

— Je suis de la Palestine.

— Ah ! je n’en ai pas encore vu beaucoup de ce pays-là. Il y avait des juifs sur mon bateau, et j’ai vu ici Barnato et Beit, mais vous ne leur ressemblez guère... »

Au bout d’un instant. Peter demanda encore :

« — Au service de la Compagnie à charte, je suppose ?

— Non; je n’ai rien à faire avec la Compagnie à charte.

— Oh ! fit Peter, ça ne m’étonne plus que vous ayez l’air si minable. »

L’étranger n’était pas communicatif. Assis à terre et les bras autour des genoux, il regardait le feu d’un air pensif et répondait à peine aux bavardages de son compagnon. Alors celui-ci, pour passer le temps, entama un récit qu’il avait déjà fait vingt fois au bivouac et toujours avec succès. Il raconta qu’avant de s’engager, il avait acheté deux négresses,-— oh! pas cher, — et que l’affaire s’était trouvée excellente. Son petit harem le nourrissait de son travail. Il riait de bon cœur en dépeignant son ménage; mais l’étranger gardait sa physionomie sérieuse et ne se dérida même pas quand Peter lui demanda :

« — Vous en avez, vous? Ça vous dit quelque chose, les négresses? »

Peter conta comment l’une de ses négresses s’était enfuie pour aller retrouver son mari et ses enfans, comment l’autre l’avait