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— Oh! vous étiez là?... Moi, je n’aime pas beaucoup à voir ces machines-là. Il y en a qui trouvent ça très drôle de voir les nègres gigoter. Je ne peux pas y tenir, ça me retourne l’estomac. Pour ce qui est de tirer ou de se battre, j’en suis; je parie que j’ai descendu autant de nègres que n’importe qui du régiment. C’est les fouettages et les pendaisons qui ne me vont pas. Vous savez, ça dépend de la manière dont on a été élevé. Ma mère ne voulait pas tuer nos canards... Et elle me cornait perpétuellement aux oreilles : Ne frappe pas un plus petit que toi; ne frappe pas un plus faible que toi ; ne frappe que quand on peut te rendre. Quand on vous a fourré ces idées-là dans la tête, on ne peut plus s’en débarrasser. Il y a eu cet autre nègre, qu’on a fusillé. Il paraît qu’il était assis, ses bras autour de ses genoux, et qu’il n’a pas plus bougé que s’il avait été en pierre; et on l’a tapé sur la tête et sur la figure avant de le fusiller. Eh bien, je ne peux pas faire ces choses-là. Ça me rend malade. J’en tirerai autant que vous voudrez, pourvu qu’ils courent ; mais il ne faut pas qu’ils soient attachés.

— J’étais là quand on l’a fusillé, dit l’étranger.

— On dirait que vous êtes partout. Avez-vous vu Cecil Rhodes?

— Oui, je l’ai vu, dit l’étranger.

— Celui-là, c’est la mort aux nègres, dit Peter Halket en se chauffant les mains... On prétend que si nous avions ici le gouvernement anglais, il y aurait des enquêtes, et toutes ces machines-là, quand on aurait donné une raclée à un nègre et que ça aurait mal tourné. Avec Cecil, rien à craindre; on peut faire ce qu’on veut avec les nègres, à condition de ne pas lui causer de tracas, à lui. »

L’étranger regardait la flamme claire monter dans la nuit calme. Tout à coup, il tressaillit.

— Qu’est-ce? demanda Peter. Vous entendez quelque chose?

— J’entends au loin, dit l’étranger, un bruit de pleurs et un bruit de coups. Et j’entends des voix d’hommes et de femmes qui m’appellent. « 

Peter écouta avec attention : « — Je n’entends rien ! Il faut que ça soit dans votre tête; j’ai quelquefois un bruit dans la mienne. » Il écouta encore attentivement : « — Non, il n’y a rien, tout est tranquille. »

Ils restèrent silencieux pendant quelque temps.