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ne sais quel magique attrait ; elles vous apparaissent comme le paradis des intelligences. Ridicule erreur ! Elles ressemblent beaucoup plus à des casernes, où l’on apprend à faire mécaniquement l’exercice. Je vais vous dire le grand secret : le meilleur moyen de s’instruire, c’est la lecture. Que celles d’entre vous qui se soucient peu de prendre leurs grades, et dont la seule ambition est de cultiver leur esprit, restent chez elles et lisent ! Mettez-vous bien dans la tête que vos frères et vos futurs maris, qui, après être sortis de l’université, ne lisent pas, ne seront jamais que des ignorans et des sots, et que toutes les universités du monde sont inutiles à la femme qui sait lire. »

C’est bien parler. Malheureusement savoir lire et réfléchir sur ce qu’on a lu, sucer la moelle d’un livre, se l’assimiler, le convertir en sa propre substance, y mettre un peu de sa personne, lui donner la marque de son moi, cet art est peu répandu et tend à se perdre. Les femmes d’aujourd’hui suivent des cours, entendent beaucoup de conférences, les femmes d’autrefois lisaient davantage. J’en peux citer une qui était née vers la fin du siècle dernier. Elle savait la botanique sans jamais avoir eu de professeurs. Elle connaissait toutes les plantes de son pays, leurs familles, leur nom français et leur nom latin, les endroits où elles viennent, leurs habitudes, leurs mœurs. Elle voulut avoir un herbier peint, et pour le peindre, elle se perfectionna dans l’aquarelle. Après de longs tâtonnemens, elle se fit ses procédés, sa méthode. Son herbier est une merveille de sincérité ; racines, tiges, feuilles et fleurs, tout est vrai et tout est vivant. Je lui demandai un jour comment elle s’y était prise pour savoir si bien la botanique. Elle me répondit : « Mon fils, je l’ai toujours passionnément aimée. »

Je crois que ma mère avait raison, que c’est par l’amour qu’il faut commencer, et que l’amour fait des miracles. La femme qui sait aimer, la vraie femme, a le privilège de savoir une foule de choses sans les avoir jamais apprises, et d’en apprendre beaucoup d’autres sans savoir comment. Je suis de l’avis de M. Steinthal, si la vraie femme venait à disparaître, ce serait une perte irréparable ; nos doctoresses nous fissent-elles le plus grand honneur, elles ne nous en tiendraient pas lieu, et il y aurait dans ce monde quelque chose qui clocherait.


G. Valbert.