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La petite duchesse de Xaintrailles est d’abord bien dépaysée dans ce monde-là. Pourtant elle fait assez bonne contenance lorsqu’elle surprend son mari en conversation intime (quoique glaciale) avec son Anglaise, et lorsqu’il lui donne là-dessus des explications et des conseils de diplomate et d’homme du monde. Mais, restée seule, elle ne peut s’empêcher de tomber dans un fauteuil en sanglotant ; et c’est alors que nous voyons entrer l’archiduc.

L’archiduc est la trouvaille de cette comédie. Ce géant est, dans le fond, très simple. C’est un gros bébé sensible et sensuel, timide, bon, pas trop bête. Seulement ce gros bébé à la voix sonore est quelque peu alcoolique ; il est d’un vieux sang d’autocrates, prince et futur roi : et de là, dans son caractère, quelques complications apparentes.

Il a déjà distingué Yvonne le jour du contrat, à Paris, où il était de passage. Il la retrouve donc en larmes, toute seule, dans ce salon, et juge que l’occasion est bonne. Mais il ne sait comment s’y prendre. Il ne le sait réellement pas. Adolescent, c’est le conseil des ministres qui lui a choisi sa première maîtresse : une de ses tantes. Depuis, il n’a connu que les aventures les plus banales : avec les « professionnelles », c’était trop facile ; et, avec les grandes dames… eh bien, c’était la même chose. Yvonne est la première femme qu’il ait à « conquérir ». Il craint de manquer de tact, de commettre des « gaffes ». Il dit lui-même à un endroit : « Les rois, voyez-vous, n’ont aucune éducation. » Remarque excellente, mais bien forte pour lui.

Cette remarque se trouve déjà dans Mme de Genlis, à propos d’une balourdise de Louis XV ; et c’est sans doute ce que cette dame a écrit de mieux. « On juge, dit-elle, trop sévèrement les rois par des phrases déplacées qui leur échappent quelquefois. On ne songe pas qu’ils n’ont aucun usage du monde. Les rois ne causent point ; quand ils parlent, c’est beaucoup, c’est tout. Ils ne sont jamais rectifiés par une repartie piquante, ni formés par la conversation. D’après tout cela, il faut avouer qu’un roi qui a du goût est une espèce de prodige. » Tout cela, qui devait être vrai des rois d’autrefois, ne doit pas être entièrement faux de ceux d’aujourd’hui.

Donc l’archiduc, fort empêtré, commence à faire à la petite duchesse un verre d’eau sucrée ; car cela lui fait gagner du temps. Elle s’apaise, elle est très reconnaissante — et très respectueuse. Tout à coup il se décide ; il lui dit gauchement et brusquement ce qu’il attend d’elle. Elle pleure ; il se met à pleurer aussi, se remonte avec un grog, raconte combien c’est ennuyeux d’être de sang royal ; et elle, touchée par la sincérité et la sensibilité de ce gros enfant, qui est tout de même un