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raconte pour le dégeler. Il se dégèle enfin, et elle tombe dans ses bras.

C’est une pièce légère, mais non partout superficielle; élégante, pittoresque, avec des touches forcées çà et là et des artifices un peu voyans; avec les réminiscences aussi d’un mosaïste très distingué et très adroit. Mais deux scènes y sont supérieures, qui n’étaient pas commodes à faire, et où certes l’invention ne manque pas, puisque l’observation n’y pouvait être qu’indirecte et « déduite ».

Maint passage fait songer à du Meilhac. Je remarque, à ce propos, que la plupart des jeunes auteurs dramatiques, Lavedan, Donnay, Guinon, Hermant, continuent, chacun à sa façon, le théâtre de Meilhac et d’Halévy; que leur « poétique » parait procéder principalement de celle de Froufrou et de la Petite Marquise; et que, seuls, MM. Hervieu et Brieux semblent se ressouvenir de Dumas fils et d’Augier. Et je ne dis pas qu’il faille s’en réjouir; mais je ne parviens pas à m’en affliger.

M. Huguenet a joué le rôle de l’archiduc en grand comédien; Mlle Leconte a été exquise; et il faut nommer avec honneur M. Lérand, M. Galipaux, et M. Noblet, pas assez gelé dans le rôle de Xaintrailles ; mais ce n’est pas sa faute.


Le théâtre des « Escholiers » a donné, — avec une comédie satirique de M. Louis Gleize : la Charité, intéressante, et qui n’a que le tort d’osciller entre le drame et le vaudeville, — un petit acte de M. Jules Renard : le Plaisir de rompre, qui a extrêmement plu.

Ce petit acte n’est qu’une scène à deux personnages. Deux amans, Maurice et Blanche, — lui, employé à 2 400 francs; elle, d’une condition assez difficile à définir, quelque chose comme une petite bourgeoise à demi entretenue, — ont décidé de rompre pour se marier chacun de son côté, car la raison le leur commande. Ils ont préparé ensemble cette rupture; ils se savent bon gré de leur sincérité mutuelle ; ils sentent qu’ils n’ont plus l’un pour l’autre que de l’amitié : ils ont donc tout lieu de croire que leur dernière entrevue sera cordiale, tranquille, décente, et ne manquera même point de distinction morale. Mais cette entrevue est horriblement mélancolique, et risque, à la fin, de devenir vilaine. Blanche, l’aînée, plus sage, un peu maternelle, charmante, souffre plus qu’elle n’avait pensé. Maurice, plus faible, a, malgré lui, des amertumes, une ironie qui sonne faux. Ils sont encore jaloux, bien qu’ils ne soient plus amans. De la jalousie ils passent à l’attendrissement des souvenirs. Et il est tout à coup ressaisi d’un désir brutal, qu’il prend pour un regain d’amour ; et elle le repousse tristement ; et il ne peut s’empêcher de dire des mots méchans,