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prison. Ses papiers furent saisis, on fouilla jusque dans ses vêtemens ; et il dut, en échange de la liberté, s’engager à supprimer de son livre les passages qui avaient déplu. « Bien résolu à ne plus servir en aucune manière ni les Français ni les Italiens, devenus les très humbles serviteurs du gouvernement français », il s’en retourna à Castel-Goffredo, où il eut à subir, peu de temps après, un nouvel ennui non moins imprévu. Pendant qu’il s’y occupait tranquillement de cultiver ses domaines, le bruit vint à lui qu’un certain Vialart de Saint-Morrys avait imaginé de se faire passer pour le véritable auteur de son Voyage au cap Nord. « Joseph Acerbi », suivant cet ingénieux personnage, n’aurait été qu’un pseudonyme, « un nom de guerre, sous lequel il lui avait plu un instant de cacher le sien. » Et la plaisanterie avait si parfaitement réussi que des géographes considérables, en particulier Malte-Brun, s’étaient mis en relation avec Saint-Morrys, et avaient cité, comme étant de lui, de nombreux passages du livre d’Acerbi. Celui-ci, absent de Paris, eut naturellement fort à faire pour obtenir justice : il travaillait encore à confondre son plagiaire lorsque les événemens de 1814 lui firent oublier ses soucis d’auteur, en lui rendant l’espoir d’une prochaine rentrée dans la vie publique. « Le congrès de Vienne de 1814, écrit-il, me donna le désir de visiter pour la seconde fois cette ville, pour voir le spectacle d’une réunion si rare. J’y vis en effet un spectacle unique, un peuple de rois, de princes, de têtes couronnées. J’eus l’honneur d’être présenté à l’Empereur, à quelques princes de sa maison, et à plusieurs ministres. » Quelques mois après, les Autrichiens reprenaient possession de Milan : et c’est alors que le général Bellegarde, dans une lettre écrite en italien, mais pleine d’incorrections grammaticales et de fautes d’orthographe, invita Acerbi à prendre la direction d’une grande revue « destinée au relèvement de la littérature italienne. »

On lui adjoignait un comité de rédaction formé de Monti, de Breislak et de Mengotti ; mais surtout on lui imposait un co-directeur, le baron Sardagna, d’Insprück, qui devait s’occuper de l’administration, et représenter directement, dans l’affaire, le gouvernement impérial. « L’objet de notre gouvernement, écrivait Sardagna à Acerbi, est de former un organe de grande renommée, qui n’ait point d’égal en Italie, et attire par conséquent le concours et la curiosité de tous les Italiens : et cela non seulement pour fournir aux Italiens une lecture intéressante, mais aussi afin que notre gouvernement puisse y introduire avec adresse, et répandre ainsi, dans le peuple les maximes et les principes qu’il jugera utiles à sa politique. » Il s’agissait donc