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souvenirs slaves et byzantins attachés à ce lieu ; enfin ce paysage morne, déployé vers les quatre points cardinaux, — collines chauves couronnées de chapelles, la ville mamelonnée, un coin brumeux de faubourg, le Dniepr hésitant entre glace et eau, — la double tristesse de l’histoire et de la nature encadre mal cette œuvre ajustée et préméditée. On le prend ici en défaut cet art classique qu’une conspiration littéraire prétendrait aujourd’hui encore imposer comme l’art absolu. Absolu, il le fut à la manière humaine, aussi longtemps qu’on n’en a pas connu d’autres.

L’histoire a voulu jadis que les traditions nationales s’éloignassent du Dniepr pour plusieurs siècles et que la Russie pèlerine ne rapprît le chemin de Kief que pour y rapporter une âme moderne, reformée déjà aux leçons de l’Europe. Ainsi l’art proprement russe est absent d’ici ; il faut le voir se former à Souzdal et à Vladimir, alors que, sous des influences peut-être lombardes, romanes, gagnant à travers l’Allemagne, et peut-être syriaques, arméniennes, propagées le long de la Volga, les maîtres modifiaient le type de Kief quant aux proportions des façades et quant au caractère de la décoration ; il faut le chercher au Kremlin, à l’heure même où, Byzance disparaissant, Moscou surgissait dans l’histoire ; les Italiens à la solde des tsars remplaçaient ces architectes de Novgorod et de Pskov qui ne savaient plus construire et provoquaient une renaissance insoucieuse, il est vrai, des modules du Parthénon, mais conforme au goût et à l’âme populaires, ce qui vaut mieux.

La ville même, coupée en deux, traduit dans sa forme l’immense hiatus de son histoire ; ici, le passé, des maisons hautes, serrées entre elles comme sous la pression des remparts d’autrefois ; là-bas, un siècle nouveau, de grands quartiers clairs, un élégant jardin cachant derrière le voile des branches la façade close du palais impérial.

C’est à peine si chaque règne nouveau fait se rouvrir une fois la demeure silencieuse et si la souveraineté russe, souriant à l’humilité de ses origines, revient un soir dormir dans son berceau. Et vainement les bruits du monde donnent-ils pour probable le transfert de la capitale à Kief ; on observe à ce propos que, si le changement s’était accompli cinquante ans plus tôt, et la question polonaise et la question d’Orient seraient aujourd’hui définitivement tranchées. Mais des intérêts nouveaux l’emportent désormais sur ces vieilles affaires. La Sibérie, ouverte à la