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plastron de sa chemise. C’est le gardien de l’église, autrefois capténarmouss dans l’infanterie, deux fois rengagé, gratifié d’une médaille, d’un livret et de plusieurs certificats qu’il conserve chez lui dans un coffre. Il ne me connaît pas encore, mais il m’aime déjà, et quand il aime les gens, lui…

Pour achever, il met la main sur son cœur. Quasimodo vivait dans Notre-Dame ; frère des goules aiguës et tortueuses, il formait à leur semblance son âme difforme et profonde, mais celui-ci, parmi les couleurs et les ors, s’est fait cette âme qui s’étale et qui s’offre, toute de surface. J’y regarde et vois les images s’y réfléchir. Il raconte le miracle propre à cette église : bien avant que Vasnetzov eût peint cette figure principale de la Vierge debout sur les nuages, des taches d’humidité apparurent un matin sur le mur ; elles dessinaient exactement cette silhouette que l’artiste a depuis mise en couleurs.

— Les journaux l’ont annoncé, conclut-il pour entraîner entièrement ma conviction.

Puis, comme si j’étais infiniment éloigné des choses de cette religion, il m’explique avec détail chaque tableau :

— La Transfiguration… C’est cette apparition du Christ où les apôtres le virent si brillant, si brillant, qu’ils ne pouvaient pas le regarder en face.

Il cache ses yeux avec ses mains, comme ébloui lui-même, puis démasquant sa figure chafouine et riante :

— Le Paradis perdu… Je vous raconterais volontiers l’histoire du Paradis perdu, mais vous aurez plus de plaisir à la lire dans les œuvres du poète russe Milton.-

— Russe, vraiment ? Je le croyais Anglais…

— Russe, tout à fait Russe, insiste-t-il, puis il concède pour me faire plaisir :

— Peut-être l’a-t-on traduit en anglais…


VI


Le Vendredi Saint.

Aujourd’hui s’accomplit le suprême et tragique épisode, la mort du Christ.

Comme les chants des disciples accompagnaient le Maître vers le jardin des Oliviers, les antiennes et les canons alternent aux matines avec la voix du prêtre récitant l’Evangile de la Passion. Du