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tailler, clouer, souder leurs feuilles sur les voliges, revêtir leurs tasseaux et garnir ainsi un bâtiment assez vaste.

L’ensemble, tronqué de forme et de couleur heurtée, est d’une laideur considérable, mais invisible ; de la rue on ne l’aperçoit pas. Pour s’en rendre compte il faut choisir quelque lieu élevé de la ville d’où l’on contemple les flots ondulés de cet océan de toits, gaufrés de tuiles brunes sur les vieilles maisons, tatoués, sur les nouvelles, d’ardoises grises et de zinc blanc.

Paris en effet a changé de coiffure. Question d’argent : la tuile de petit modèle, qui coûte aujourd’hui 64 francs le millier, valait à peu près le même prix au moyen âge et se vendait, en monnaie actuelle, une cinquantaine de francs au XVIIIe siècle ; mais le zinc était inconnu à nos pères et l’ardoise, cotée maintenant 55 francs le mille, se payait 100 francs sous Louis XV. Au château de Conflans, bâti en 1320, la couverture d’ardoise revint à 15 francs le mètre carré; aussi l’ardoise était-elle, avec le plomb et la pierre plate, réservée aux palais, aux riches demeures. Du temps où l’appellation de rue Pavée désignait suffisamment une voie publique, on voyait sur la place de Grève — au XIVe siècle — un logis connu sous le nom distinctif de « maison aux ardoises ». L’almanach royal de 1714 fixe le mètre carré de cette toiture au double du prix de la tuile, tandis que la « série » actuelle des entrepreneurs les porte l’un et l’autre au même chiffre de 4 à 5 francs.

Le faîtage à peine se termine que déjà les « maçons » beurrent de plâtre les murs, les plafonds et les murettes, poursuivis par les menuisiers qui ajustent leurs croisées et découpent leurs chambranles. Les multiples travaux dont le plâtre, ce cache-misère, est le facteur essentiel, sont l’objet de mentions détaillées dans les comptes, passablement touffus, du bâtiment; la colonne spéciale, dite des « légers », où ils figurent, est le chef-d’œuvre des « métreurs », à qui les architectes reprochent de l’avoir inventée tout exprès pour favoriser l’enflement des mémoires. Comme la chaux et l’ardoise, le plâtre est l’un des matériaux qui ont le plus diminué de prix depuis les siècles passés. Il vaut 21 francs le mètre cube ; il valait 45 francs sous Jean le Bon, 80 francs sous Henri IV, 60 francs sous Louis XVI. Il était, il est encore en province bien plus coûteux que dans la capitale ; on l’y ménage fort. En quelques pays étrangers, son emploi est inconnu ; à Londres par exemple, on lui substitue un mélange de chaux, de terre et autres ingrédiens, qui font les plafonds aussi blancs et aussi lisses