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regard. Effacée comme une figure de tapisserie, puissante comme une fée, ardente et silencieuse comme un flambeau. Elle sait toute chose ; mais elle ne se pare point de sa science comme d’un bijou. Elle parle plusieurs langues, mais seulement afin de saluer l’étranger ou le pèlerin qui passe, selon les mots du pays qu’il a quitté. Elle sait aussi coudre, préparer le repas de chaque jour, tenir les comptes, soigner les malades. Elle fait peu de toilette, mais elle songe à celle des autres, — les pauvres qu’on rencontre à la porte des asiles de nuit, des hôpitaux ou des dispensaires, — qui en font moins encore. Si elle se couvre de vêtemens magnifiques, c’est comme les suivantes de sainte Ursule, dans les tableaux de Carpaccio, en vue d’une cérémonie publique, d’une solennité traditionnelle, où alors sa beauté sera un hommage à quelque grande idée et un spectacle pour le peuple qui n’a guère d’autre spectacle. Elle ne se mêle pas aux discussions ni aux luttes, mais elle noue à l’épaule de son mari l’armure de la bataille. Elle ne parle point d’émancipation, ni ne va aux meetings féministes où l’on rivalise avec les hommes, — mais elle juge en dernier ressort ce que les hommes font et décerne le prix du tournoi. Dans la maison de son mari, on dirait une servante : dans son cœur, elle est une reine. D’elle, au milieu des applaudissemens du monde, il attend la récompense; en elle, en dépit de toutes les attaques du monde, il trouve la paix. Elle ne se met point devant son miroir comme la Laura Dianti du Titien ; les lignes droites et pures de son visage se reflètent dans l’or roux des dressoirs ou dans le bleu sombre des cuirasses. Avant toute chose, elle est gaie. Elle ne regarde point ces tableaux de piété où l’on voit des mères pleurant au pied des croix. Si elle a des chagrins, si elle a des larmes, elle les secoue comme une feuille de rose secoue les gouttes de pluie, — et reparaît plus belle. Elle fait le bien, mais ne fait pas de sermons. Ses mains ne sont pas jointes, mais actives. Pas plus qu’une reine ne quitte son royaume, elle ne sort de sa maison. Elle la garde et l’orne, active à l’aurore, lasse le soir. Travailler, aimer, embellir, — et la vie s’écoule. Quand elle se sera en partie écoulée, on verra sur les traits de la femme cette paix que donne la mémoire des années heureuses et remplies. Alors elle éclairera, tout autour d’elle, les chemins que prennent son mari et ses fils. Dans ses yeux, il y aura de la lumière autant que de la flamme ; dans son âme, il y aura de l’enthousiasme autant que de la pitié. Elle ne fera point de chagrins