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chimériques sur ce que la destinée nous refuse, n’attendant ni de la vie ce qu’elle ne peut nous donner, ni de la mort ce que personne ne peut nous en promettre. Rien de triste ne passera sur son front délicieux où aucune guimpe ne devra se poser, rien, sinon peut-être de loin en loin, lorsque cheminant à travers cette Arcadie ruskinienne bordée de montagnes bleues, elle trouvera sous l’olivier quelque tombe révélatrice d’une destinée semblable, la mélancolique pensée de la bergère du Poussin à peine exprimée : Et in Arcadia ego

Et au delà?... Ne nous occupons pas de l’au-delà! Occupons-nous de ce que nous avons à faire dans cette vie. Nier l’autre est puéril... que pouvons-nous nier? Mais discuter et raisonner sur l’autre vie est ambitieux... Que pouvons-nous affirmer? Contentons-nous d’admirer ce que nous voyons et de l’aimer. N’attendons pas d’extraordinaire récompense : si nous sacrifions le temps, que ce ne soit pas pour gagner l’éternité ; le monde, que ce ne soit pas pour gagner les cieux. N’attendons d’autre récompense du ciel que sa splendeur ; de la terre que son repos. Ayons de l’héroïsme la même notion que le jeune Grec antique, s’il faut absolument en avoir une, — donner sa vie pour un baiser, — et ne pas l’obtenir... Cependant n’interrompons point les visionnaires lorsqu’ils nous parlent d’un pays merveilleux où les brises de l’Océan courent autour des îles bénies, où les fleurs brûlent de joie à jamais. Écoutons les prophètes comme on écoute chanter des oiseaux. Ils ajoutent à la Beauté. Ne cherchons aucun trône dans les cieux que les rochers, aucun esprit dans les cieux que les nuages. Dans les fleurs de ces rochers et dans les broderies de ces nuages passionnément aimés, reconnaissons le mystère d’un Pouvoir, d’une Aide et d’une Paix, — et ne nions pas sa personnalité. Mais n’attendons pas d’autre récompense de la vie que la vie elle-même, de notre enthousiasme pour l’Artiste inconnu que cet enthousiasme, de notre amour pour son œuvre que l’amour.

C’est une métaphysique de paysagiste. — « Le soleil est Dieu ! » disait Turner mourant et Corot, à son lit de mort : « Voyez, voyez ces paysages !... » et leur admiration et leur gratitude envers la Beauté de la Nature, étaient telles qu’ils lui demandaient jusqu’à leur dernière heure de demeurer leur récompense encore par delà le tombeau. Ils avaient été si complètement heureux des choses aperçues, loin des hommes, le long des fleuves, sur le penchant des collines, au fond des bois et au fond des golfes de