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Celles-ci, composées de tribus, les unes complètement, les autres à peu près indépendantes, étaient mal préparées par leurs habitudes de vie à concevoir une idée exacte de ce que représente pour nous, en Europe, une ligne frontière, et de la gravité que nous attachons au fait de la violer. Aussi bien, dans ces régions lointaines chaque tribu a son territoire où depuis des siècles elle vit à l’état nomade ; elle a ses parcours définis, ses points d’eau consacrés, en un mot son domaine pastoral toujours respecté en temps normal par les voisins. Mais les confins de ces terres de parcours ne sont nullement définis ; ce sont là des causes incessantes de luttes pour la possession de ce « bled-el-baroud », pays de la poudre, comme l’appellent les indigènes. La conception d’une barrière fictive, d’un tracé précis, limitant à un mètre près les droits de chacun, n’entre pas dans leur esprit. Il fallait donc, pour imposer, aussi bien à nos nouveaux sujets qu’à leurs voisins du Maroc, nos coutumes d’ordre et de méthode, user de mille précautions, s’attacher, sur tout le parcours de la frontière, à établir un tracé qui ne soulevât jamais la moindre contestation. Les nôtres, sous une étroite surveillance, eussent pris rapidement l’habitude de demeurer en deçà, tandis que par des mesures, des conventions préventives, les tribus marocaines, à peine soumises à l’autorité de la cour chérifienne, eussent été dans l’obligation de respecter nos droits. Et d’autre part, afin d’assurer cet état de choses nouveau, et de nous prémunir, dans la mesure du possible, contre une confusion des tribus limitrophes, il convenait de relever exactement leurs domaines respectifs, leurs propriétés, leurs champs, les possessions individuelles. C’eût été tenir compte des habitudes indigènes et nous ménager sur notre ligne frontière la faculté d’une action vigoureuse et indiscutable, tandis que nous aurions de même obtenu, dans les régions non délimitées, la même solidité d’installation.

Cela n’a point été fait. La convention signée à Lalla Mar’nia semble plutôt une ébauche qu’une mise en œuvre définitive ; et par là-même elle offrait un double inconvénient : d’abord elle devait être plus tard sujette à interprétations diverses et opposées, sources intarissables de difficultés avec nos voisins du Maroc ; en second lieu, elle exigeait de ceux qui avaient à l’appliquer ou à la subir sur place, une habileté comme surhumaine pour éviter les conflits, et par suite elle paralysait leurs efforts.

Un rapide résumé des faits nous en donnera la preuve, en