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On passe d’ordinaire beaucoup trop rapidement sur ces peintures des triangles, si remarquables pourtant par la variété des expressions, la splendeur des types et la savante ordonnance des ensembles. Quel accent de morne douleur chez cette femme qui se détache, sculpturale et comme pétrifiée, de la pénombre du premier tympan près de l’autel à gauche! Le masque tragique, ensuite, de la veuve avec les deux orphelins dans le tableau qui porte la suscription de Roboam : on dirait le masque d’une Médée ! Le désespoir poignant de cette autre veuve, en face, qui, pliée en deux et comme écrasée, reste sourde aux caresses timides des pauvres petits êtres à ses côtés! Moins éplorée, mais plus touchante peut-être, est cette ouvrière armée de grands ciseaux dont les traits légèrement sémites, et la tête tristement inclinée éveillent le souvenir de la Pietà dans la chapelle de Saint-Pierre. Et qu’il est ravissant, le petit bambino tout nu qui regarde le travail de sa mère avec une curiosité si naïve ! Quel charme, en général, l’artiste a su répandre sur tous les enfans ici, malgré leur air sérieux et privé du sourire ! Remarquez surtout ceux parmi les enfans qui sont endormis ou affaissés, et dont le corps souple, flexible, suit si onduleusement les sinuosités du sein maternel sur lequel il repose ! C’est là un motif bien original, bien personnel à Michel-Ange : vous ne le trouverez ni chez le Titien, ni chez le Corrège[1]. A mesure qu’on s’éloigne du maître-autel, les groupes des tympans deviennent plus tranquilles, plus développés et grandioses ; le dernier, près de l’entrée à gauche (entre l’Isaïe et la Delphica), est une merveille de grâce émue et d’arrangement pittoresque. L’admirable Villanella toute drapée de blanc, avec l’enfant dans ses bras, est certainement la plus belle figure féminine qui soit jamais sortie des mains de Buonarroti : quelle noble langueur dans le visage, quelle majesté dans le port! La pose superbe aussi de l’époux, sur la tête duquel on voit peser si lourdement le poids du jour et de la chaleur ! Je ne connais au monde de Sainte Famille ni de Repos en Égypte qui, pour la beauté du sentiment et des lignes, soit à la hauteur de ce groupe de Josias. Andrea del Sarto s’en est visiblement inspiré dans sa Madonna del Sacco.

  1. Mais vous le trouverez dans certaines petites Saintes Familles des galeries romaines (Doria, Corsini, ancienne galerie Sciarra), toutes œuvres des élèves de Buonarroti (Venusti et autres), aussi bien que dans la Carità d’Andrea del Sarto (au Louvre). Ce dernier a beaucoup profité de la voûte Sixtine.