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il est difficile de prévoir les suites ; mais elles seront longues, et nous ne sommes pas encore sur le point d’en distinguer le dénouement. On prête à M. le ministre de l’intérieur un mot qui résume le sentiment général au sujet de ces tristes affaires, à savoir qu’il faut « faire vite et tout ». C’est le vœu universel, mais il y a loin d’un vœu à sa réalisation. Faire vite, certes ! rien ne serait plus désirable ; mais comment faire vite alors qu’Arton paraît s’être proposé de faire lentement ; qu’il mesure ses dénonciations au compte-gouttes ; qu’il s’applique à les faire durer ; qu’il met des temps entre elles ; qu’il fournit sans cesse à l’instruction des pièces nouvelles ? Faire tout une bonne fois, vider l’affaire jusqu’à la sentine, ne reculer devant aucune considération pour opérer un nettoyage radical, qui ne le voudrait ou plutôt qui ne le veut ? Mais ici encore il est plus aisé de vouloir que de pouvoir. Quelle que soit l’ardeur des passions politiques, — et on suppose bien qu’elles ne sont pas absentes de cette affaire, — un honnête homme ne consentira jamais à regarder la seule parole d’Arton comme une preuve suffisante de la culpabilité de celui-ci ou de celui-là. Elle peut servir d’indication, voilà tout. Il faut ensuite trouver des preuves véritables, ou du moins des présomptions assez nombreuses et assez fortes pour faire naître la certitude. Or, ces présomptions et ces preuves ne sont pas faciles à établir : peut-être même les plus grands efforts pour les réunir et les fixer sont-ils destinés à rester impuissans. À supposer, ce qui parait probable, qu’un certain nombre de députés aient été corrompus, c’est compter beaucoup sur leur naïveté de croire qu’ils ont laissé derrière eux des traces matérielles de la corruption. Le hasard peut en faire découvrir quelques-unes, mais il y a lieu de craindre que ce hasard ne soit très rare. On aura d’un côté l’affirmation d’Arton, de l’autre la dénégation de sa victime : où est la vérité ? On peut même avoir une conviction personnelle, suivant qu’on se détermine par des vraisemblances plus ou moins grandes ; mais cela ne suffit pas devant les tribunaux ; il faut y apporter une démonstration d’un caractère juridique, et si cette démonstration peut être faite dans quelques cas particuliers, — ce que nous ignorons encore, — dans le plus grand nombre elle ne pourra pas l’être. L’œuvre entreprise, nécessairement incomplète, ne satisfera donc pas la conscience publique. On se bat contre l’insaisissable. Et voilà pourquoi les hommes les plus désireux d’en finir à tout prix, mais non pas cependant au prix de la justice dont les règles tutélaires doivent être appliquées à tous, sont émus et inquiets en songeant combien il sera difficile, sinon impossible, de faire vite et de