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était capable, et, cette fois encore, la comparaison de l’œuvre définitive avec les deux esquisses qui l’ont précédée nous le montre modifiant graduellement sa composition pour l’améliorer[1]. Sans doute, au cours de ces remaniemens, en même temps qu’il supprimait l’enfant de chœur placé au premier plan de ces esquisses, il aurait pu aussi retrancher les deux chiens qui de la façon la plus irrévérencieuse s’étalent sur les marches de l’autel. Mais, à part cette légère réserve, un examen prolongé de cette œuvre si complexe ne permet de découvrir en elle que des motifs d’admiration toujours plus nombreux. Modulations rythmées de la silhouette, justesse et vivacité de l’effet, science accomplie des valeurs, transparence des ombres même les plus intenses, beauté et diversité extrême des types, tout a été prévu, exprimé avec autant d’aisance que de sûreté. Que de morceaux exquis on pourrait citer dont l’exécution est faite pour confondre les plus habiles : le groupe des cardinaux et des évêques, par exemple, ou encore cet essaim de jolies femmes parmi lesquelles on retrouverait apparemment quelques-unes des beautés qui, dans le cercle de la reine, avaient frappé Rubens, et, entre toutes, ces deux figures de femmes blondes aux carnations éblouissantes, si finement modelées dans une pénombre claire et limpide ! A tant de mérites divers, ajoutez le plus grand de tous, cette couleur à la fois si éclatante et si harmonieuse. Et notez qu’ici, dans cette harmonie générale, c’est le bleu qui domine, cette tonalité séduisante, mais si incommode à manier lorsqu’il s’agit d’en couvrir de grandes surfaces. Il est vrai qu’en pareille occurrence, Rubens n’est jamais embarrassé et qu’il démêle vite quelles oppositions doivent faire valoir les colorations auxquelles il veut réserver le plus grand éclat. Tout d’abord, afin d’éviter la froideur que ces bleus multipliés donneraient à l’ensemble, leurs ombres ont été très montées, nourries de bruns généreux, animées de reflets hardis; partout aussi la gamme variée des jaunes contraste avec ces bleus et les fait vibrer. Pour réveiller encore la tonalité de l’ensemble, quelques rouges discrètement répartis, mais très

  1. Un changement apporté à l’esquisse primitive, sans doute sur la demande de la reine elle-même, puisque le tableau fut exécuté sous ses yeux, montre bien toute sa vanité. Tandis que Rubens l’avait représentée d’abord la tête baissée et priant avec ferveur alors que son fils aide le cardinal de Joyeuse à poser sur son front la couronne royale, nous voyons, au contraire, dans ce tableau, Marie de Médicis les yeux et le visage levés, pleine d’assurance, recevoir la couronne sans le secours de son fils.