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même lettre à Peiresc où il lui apprend sa disgrâce, il évite les récriminations et, en présence du coup qui l’atteint si profondément, il hésite, par délicatesse, à qualifier les événemens dont il est victime, afin de ne pas froisser son aimable correspondant.

Comme si la fatalité devait jusqu’au bout poursuivre Rubens dans ce travail ainsi interrompu, les deux grandes toiles qui seules nous en ont été conservées sont encore aujourd’hui exposées aux Uffizi de Florence dans les plus déplorables conditions. A demi masquées par les pitoyables statues des Niobides qui empêchent d’en découvrir l’ensemble, dévernies, mal tendues sur leurs châssis, elles montrent dans leurs plis des amas de poussière depuis longtemps accumulée et accusent cruellement l’indifférence et l’incurie de ceux qui, au lieu de se parer de semblables chefs-d’œuvre, les laissent dans un tel état d’abandon, au grand scandale de tous les véritables amis de l’art.

Ajoutons, en manière d’épilogue, qu’après avoir vu Marie de Médicis dans son palais, entourée de tout le luxe qu’elle aimait à y étaler, Rubens ne devait pas être longtemps avant de la revoir, mais fugitive et venant implorer un asile auprès de la gouvernante des Pays-Bas. Sur la prière même de l’Infante et à raison des relations affectueuses qui s’étaient établies entre eux, le grand artiste avait même été un moment attaché à sa personne, jusqu’à ce que, par ses intrigues et ses menées compromettantes, l’altière princesse eût lassé les hôtes qui l’avaient si courtoisement accueillie. Tandis que Rubens poursuivait en pleine gloire sa royale carrière, la reine déchue allait promener tour à tour en Hollande, en Angleterre et en Allemagne son humeur inquiète et ses vaines revendications. Proscrite du royaume qu’elle avait gouverné, elle se voyait successivement exilée de toutes les cours qu’elle essayait inutilement d’intéresser à sa cause, jusqu’à ce qu’elle vînt obscurément mourir à Cologne, oubliée et presque dans la misère.


EMILE MICHEL.