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de citoyens américains se découvrent chaque jour à Cuba, qui n’y vinrent point du nord et portent un nom aussi peu anglo-saxon que Ruiz ou Sanguily !

Quoi qu’il en soit, et tant que subsistent le traité de 1795 et le protocole de 1877, tous deux joints règlent officiellement, diplomatiquement, les rapports de l’Espagne et des Etats-Unis[1], en tout endroit du globe où, sur un pouce de terre espagnole, il peut y avoir un citoyen américain. « Traité d’amitié, limites et navigation », ainsi se qualifie le texte de 1795, autrement dit : traité de bon voisinage. Mais les Américains de 1895 ne sont plus tout à fait les mêmes que ceux de 1795 et nombre de citoyens américains ont une façon d’entendre et de pratiquer le voisinage qui rendent la navigation suspecte, les limites incertaines, et l’amitié un peu difficile.


II

L’Espagne a le malheur que Cuba soit trop près des Etats-Unis, beaucoup trop au centre de leur sphère d’attraction. On sait que les Américains du Nord sont, comme par un don exprès, des géographes et des physiciens avisés : ils calculent longtemps à l’avance la chute des corps et la chute des étoiles, et ils tendent, pour les recevoir, d’un bras infatigable, le pavillon américain. Ce n’est pas hier, c’est en 1823 que M. Adams, alors secrétaire d’État, écrivait : « Il y a des lois de gravitation politique autant que de gravitation physique ; et si une pomme détachée par la tempête de l’arbre qui l’a produite ne peut que tomber à terre en vertu de la loi de gravité, ainsi Cuba, séparée par la force de sa propre connexion avec l’Espagne et incapable de se maintenir à elle seule, ne peut que graviter vers l’Union nord-américaine, laquelle, suivant la même loi de la nature, ne peut la rejeter de son sein[2]. »

Mais, personne n’étant le maître de l’heure, s’il est des gens qui l’attendent avec une patience plus ou moins commandée, il en est aussi qui veulent l’avancer ; s’il en est qui se contentent de ne pas quitter des yeux la pomme et de ne point

  1. Réponse de don Antonio Canovas del Castillo, au discours de don Francisco Silvela; à la Chambre des députés, dans la discussion du Message, séance du mardi 7 juillet 1896.
  2. Note de M. Adams à M. Nelson,. du 28 avril 1823.