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Lopez et de ses compagnons. Le gouvernement de l’Union envoya à la Havane le commodore Parker, en le chargeant d’y faire une enquête et de soutenir ses réclamations. Le capitaine général, don José de la Concha, le reçut courtoisement, mais ne lui permit d’accomplir aucun acte qui pût paraître une immixtion des États-Unis dans une affaire relevant uniquement de la souveraineté de l’Espagne sur Cuba; en fin de compte, le Président s’en remit à la clémence de la reine Isabelle, pour ceux des prisonniers à qui la vie avait été épargnée. La reine, en effet, pardonna; et des 500 partisans de Narciso Lopez, 176 revirent leur pays.

Mais il y avait désormais du sang entre les États-Unis et l’Espagne; du sang américain, versé à Cuba et pour Cuba, par les Espagnols. Et la politique populaire, qui ignore les règles, les formes, les procédures, qui se soucie peu du droit des gens et, en général, du droit, n’en devint que plus nerveuse, plus fiévreuse, plus enflammée, plus affamée. Le ressentiment et la colère furent si vifs dans les États du Sud de l’Union que peu s’en fallut que, par une sorte d’application aveugle de la loi de Lynch, la populace de la ville de Mobila ne massacrât les naufragés d’un brigantin espagnol jeté à la côte[1].

Cependant à New-York, dès lors érigée en centre de propagande, la Junte révolutionnaire cubaine poussait habilement et hâtivement ses travaux, sus trabajos, disent les Espagnols qui, de même, disent de ceux qui s’y livrent : les travailleurs, los laborantes. Cubains et Américains conjurés, on travaillait donc contre l’Espagne, sans relâche, aux États-Unis. Les avis ne différaient que sur le plan de campagne : seraient-ce les Cubains qui s’insurgeraient encore, aidés par des citoyens de l’Union, à titre pour ainsi dire privé? ou bien valait-il mieux que, se laissant porter aux passions déchaînées, ce fussent les États du Sud qui intervinssent ouvertement, à titre public et national? Après de longues discussions, on reconnut pour chef de la future expédition le général nord-américain Quitman, un des officiers qui, au retour de la guerre du Texas, voulaient mettre en passant la main sur Cuba.

De la demeure qu’il s’était choisie à portée de son terrain, dans l’État du Mississipi, Quitman, bien fourni de ressources par d’abondantes souscriptions, surveillait les préparatifs et ne négligeait

  1. Voy, D, Carlos de Sedano, Cuba, Estudios politicos, p. 58.