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et en luttes interminables, partout et toujours le bras levé des Cubains a été visiblement ou invisiblement soutenu par quelque main américaine.

Faut-il rappeler, vers la fin de la guerre de Dix ans, la capture, sous pavillon américain, du Virginius, plein d’insurgés et chargé de munitions[1]? Faut-il montrer la Junte révolutionnaire cubaine devenue à New-York une institution permanente et, pour ainsi dire, reconnue ; et, grâce à la complicité latente du milieu, José Marti organisant, de là-bas, la nouvelle campagne? Et, durant la présente guerre, qui ne connaît les exploits du Laurada, du Three Friends, du Bermuda et autres? Dans le budget de l’insurrection, si les comptes publiés sont dignes de foi, pour combien les Etats-Unis entrent-ils au chapitre des recettes? Pour plus de la moitié du total. Où se tiennent contre l’Espagne des meetings furieux, où déchire-t-on et brûle-t-on le drapeau espagnol? Où le général Weyler a-t-il été pendu en effigie? Où parle-t-on de former pour Cuba et d’y débarquer des bandes de cowboys; où est le rendez-vous des « enfans perdus » de toutes les nations qui viennent chercher dans la révolution cubaine une position sociale? N’est-ce pas aux États-Unis? Mais ces « enfans perdus », qui les accueille? qui forme et équipe ces bandes? qui a pendu en effigie Weyler? qui brûle le drapeau espagnol? qui vocifère contre l’Espagne? Ceux qui, depuis 1820, pressés de voir tomber la pomme, — comme disait M. Adams, — ont attaché au grand arbre de Cuba une corde qu’ils tirent de Key-West et de New-York.

  1. Le ministre des États-Unis à Madrid était alors le général Sickles, dont M. Emilio Castelar traçait naguère ce plaisant portrait : « J’ai connu peu d’hommes d’État plus munis d’instruction politique que Sickles. Il savait sur le bout du doigt les commentaires classiques de la Constitution américaine. Quant aux traditions, il alléguait toutes celles imaginables ; et si, pour sa cause, il n’en trouvait pas sous la main, il en imaginait avec une enviable fertilité d’esprit. Il nous comblait de son amitié et nous accablait de ses bons offices. Mais, tout de suite après, il se disait chargé : 1° de proposer l’indépendance cubaine ; 2° d’imposer à Cuba le rachat à prix d’or de son union historique avec l’Espagne, hypothèque donnée pour le paiement sur la valeur de toutes les propriétés publiques et les recettes des douanes ; 3° de ménager une trêve ou un armistice entre les belligérans (on était en pleine guerre de Dix Ans), jusqu’à la solution du conflit. » C’est ce même M. Sickles qui, interrogé par le général Prim qui voulait en finir, sur le prix que les États-Unis donneraient de Cuba et Puerto Rico, répondit tranquillement : « Cent cinquante millions de duros », et, — ajoute D. Em. Castelar — « s’en alla, tout serein, comme s’il emportait les deux Antilles dans sa bourse, entre son cœur et sa montre. » Puis, quand il vit que Prim n’acceptait pas : « Il n’y a, écrivait-il dans chacune de ses dépêches, rien à faire avec ces gens-là ». — Voyez El Liberal du 17 janvier 1897.