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confiance. Le ministre des Etats-Unis, s’il eût été le maître, n’eût peut-être pas poussé plus loin : « Pour l’instant, assurait-il à son chef, la meilleure politique, en ce qui touche Cuba, serait de n’en faire aucune. » Mais l’ordre revenait, impératif. M. Saunders se présenta chez le ministre d’Etat espagnol qui, dans cette audience du moins, semble avoir été assez faible. Seulement, ce que redoutait M. Buchanan, se produisit en effet : ses intentions furent ébruitées et, dès lors, tout était manqué. La presse de Madrid jeta feu et flammes. L’énergie de M. Pidal s’y réchauffa et quand M. Saunders, qui eût préféré se taire, voulut ajouter un mot, ce fut l’honneur castillan qui lui répondit par la bouche du ministre d’Etat : « Là-dessus, je ne puis rien entendre ; que Cuba s’abîme plutôt dans l’Océan ! accoure une vague qui l’engloutisse, plutôt que nous ne cédions l’île à une autre puissance! » M. Saunders n’avait plus qu’une chose à faire; il la fit, et donna aussitôt sa démission.

Le gouvernement fédéral s’en consola, et ne se déconcerta pas. Quelques années durant, il temporisa, retenant ses agens trop zélés, leur disant : Attendez, le fruit n’est pas mûr encore ; essayant de donner à croire que, s’il avait proposé d’acheter Cuba, c’était sans grande envie que l’Espagne acceptât, — pour causer[1].

Toutefois, lorsque M. Soulé vint occuper le poste de ministre des États-Unis à Madrid, en septembre 1853, il n’y apportait pas que des paroles en l’air; et, derrière ses insinuations, il y avait la somme ronde de 200 millions de pesos. Le prix montait; preuve évidente que l’Union ne renonçait pas à ses projets sur l’île. Mais M. Soulé n’était guère l’homme qui convenait à une négociation exigeant tant de souplesse et de tact. Il l’était si peu qu’on se demande si, en le nommant, le gouvernement fédéral n’avait pas eu pour but de marquer ainsi son mécontentement, de faire sentir à l’Espagne une main menaçante, et d’exercer sur elle comme une pression indirecte; si on ne l’avait pas désigné, contrairement à tous les usages, et quoi que la reine et ses ministres pussent en penser, au titre, non point de persona grata, mais bien de persona ingratissima.

Si tel était, en vérité, le but du Président américain et de son secrétaire d’Etat, ils se trompaient gravement sur ce qu’est l’Espagne; et, si leur but n’était pas tel, ils se trompaient du tout au

  1. Instructions remises par M. Marcy à M. Soulé, du 23 juillet 1833; Sedano, p. 128.