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dont l’équivalent n’existe plus guère en France entre maîtres et serviteurs ; il est inouï que l’on chasse une vieille esclave pour ne pas la nourrir : ces adoucissemens, apportés par la pratique à la condition servile, viennent de ce qu’en Chine maîtres et esclaves sont de même race, parlent la même langue ; le lien entre le maître et les esclaves est tout personnel, ceux-ci ne forment pas une caste. Comme le père marie sa fille sans son consentement, le maître ne consulte pas son esclave pour la marier à un domestique ou à un esclave mâle : mais, d’aucune façon, il ne peut séparer les époux; par le mariage, la femme esclave est soumise à des règles nouvelles ; elle dépend, avant tout, de son mari et elle acquiert vis-à-vis du maître une personnalité inviolable ; elle ne peut même être privée de ses enfans que du consentement du père. Les esclaves n’assistent pas au culte domestique, n’ont pas de tablette après leur mort, n’ont donc pas de capacité religieuse ; mais le maître leur donne un cercueil et les enterre à ses frais dans le voisinage du cimetière familial.

Bien différent est le sort des filles qui tombent dans les mains d’entrepreneurs de prostitution ; la loi ne permet de vendre qui que ce soit à ces industriels, mais il y a des voleurs d’enfans, des parens affamés, même, affirme-t-on, certains établissemens hospitaliers, qui transgressent la loi. Le maître ou la maîtresse de ces malheureuses a sur elles droit de suite, droit de châtiment, sans que le magistrat intervienne jamais: leurs gains appartiennent au maître, qui les nourrit, les loge, les habille; souvent il leur extorque par la violence le pécule qu’elles essaient d’épargner. Quelques-unes des femmes galantes sont libres, et versent à l’entrepreneur qui les héberge une somme prélevée sur leurs recettes. Il existe aussi des troupes de comédiennes ; elles donnent des représentations sur des scènes spéciales[1] presque toujours très mal famées; ces femmes sont esclaves du directeur de la troupe. Une comédienne ou une prostituée ne peut sortir de sa condition que si quelque admirateur l’achète pour en faire une concubine, ou en payant elle-même sa liberté à l’entrepreneur, lorsque celui-ci ne lui a pas pris à mesure tout l’argent qu’elle recevait : l’ambition d’un grand nombre de ces femmes, c’est de pouvoir à leur tour ouvrir une maison de débauche; mais bien peu atteignent ce but, et la plupart, vieillies, chassées par leur maître,

  1. Hommes et femmes ne peuvent paraître sur la même scène.