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Dangy a été l’amant de la duchesse durant le temps convenable, puis s’est lassé d’elle. Il le lui laisse entendre, et allègue piteusement ses scrupules à l’endroit du duc. « Ne vous inquiétez pas de mon mari, dit la duchesse, rageuse; il est l’amant de votre femme ; j’ai, dans mon gant, une lettre qui prouve qu’elle est allée à son petit rez-de-chaussée. Voulez-vous la lire? » Jacques refuse de lire la lettre, je ne sais pas trop pourquoi. Mais, les invités partis, et seul avec Hélène...

Arrêtons-nous ici. Toutes les scènes précédentes, entre Hélène et le duc, entre la duchesse et Jacques, m’ont paru assez faibles et sans grand accent. Le duc est pâle; la duchesse est, je crois, dans la pensée de l’auteur, une coquette sèche, une névrosée froide, genre « poupée perverse » : mais ce n’est qu’indiqué. Hélène est vraie, mais bien sommairement dessinée. Seul, Jacques Dangy a quelque relief. Il est bien homme de lettres. Même en ses pires inconsciences, il garde le ton de l’observation détachée et de la « blague » professionnelle. Il est snob dans les moelles, mais c’est un snob ironique. C’est un sot qui a beaucoup d’esprit. En sorte que, lorsqu’il s’amuse à justifier son snobisme, il a l’air de se connaître, bien qu’il s’ignore, et de se moquer de lui-même, bien qu’il ne s’en moque pas du tout. Et la persistance de ce snobisme foncier et, à la fois, de ce tic d’ironie superficielle jusque dans le moment où il souffre pour de bon donne beaucoup de prix, selon moi, à cette dernière scène du troisième acte.

Il commence, chose assez naturelle, par être brutal. Sur quoi Hélène, au lieu de se justifier, se rebiffe : « Eh bien, quoi ? J’ai été la maîtresse du duc, comme vous avez été l’amant de la duchesse. J’ai fait ma Francillon, jusqu’au bout. Nous sommes quittes ! » Ce coup assomme notre snob, mais toutefois sans le « désnobiser ». Il crie tour à tour et balbutie furieusement; mais, surtout, une pensée l’ulcère : « Ainsi, les bons petits camarades savaient!... On se moquait de moi dans les bureaux de rédaction!... Il devait y avoir, dans les journaux, des allusions..., des « filets » que je n’ai pas lus ou que je n’ai pas compris ! » Et il dit cela toujours du même ton d’ironie mécanique, et comme quelqu’un qui se raille d’être capable de le dire. Mais, quoique ce soit surtout le littérateur qui crie, c’est bien l’homme qui est déchiré. Hélène le sent, et, épouvantée de ce qu’elle a fait, elle jure qu’elle a menti, par bravade et pour se venger; qu’elle est bien allée dans la garçonnière du duc, mais qu’elle en est sortie intacte : « Je te le jure ; tu dois me croire, il faut que tu me croies ! »

Jacques la croira-t-il? Par quelles circonstances, par quelles paroles