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FRANÇOIS VIÈTE.

quelques années plus tard, le cardinal de Granvelle priait pour le meurtrier de Guillaume le Taciturne. Poltrot cependant, pressé par la torture, avait nommé Soubise comme un des instigateurs de son acte ; l’accusation était vraisemblable. Nourri page du baron d’Aubeterre, père de la dame de Soubise, Poltrot était entré à l’âge de dix-sept ans au château de Parc et s’y était toujours conduit en bon et brave soldat, prompt à solliciter les missions périlleuses et habile à les accomplir. Viète le connaissait bien ; il le trouvait fanfaron, gausseur et d’humeur divertissante. Poltrot disait souvent qu’il tuerait le duc de Guise ; cette idée le hantait et on la trouvait plaisante, ne la prenant pas au sérieux. Il élevait le bras en s’écriant : « Voilà la main qui accomplira les prophéties ! » Un jour, voyant passer un cerf dans le parc, il dit à ceux qui l’entouraient : « Voulez-vous voir comment je ferai à M. de Guise ? » et il tua le cerf d’une arquebusade dans la tête ; car il était fort adroit. Il voulait « suivre les erres d’Eléazar qui s’est sacrifié pour Israël. » C’était un style alors fort répandu. Soubise y était habitué, mais tançait Poltrot, le reprenant d’orgueil : « Tu te vantes, disait-il, ton cœur n’est pas en assez haut lieu pour de tels faits. » C’est ainsi, comme l’a dit d’Aubigné, que, sous couleur de le détourner, on le mettait au défi et lui donnait courage.

Soubise voulant répondre par le récit de sa vie au blâme dont on chargeait son honneur et n’espérant pas, comme Xénophon et César, élever son éloquence à la hauteur de ses actions, confia à Viète le soin de mettre par écrit ses aventures, ses prouesses et les preuves de sa constante loyauté.

Les mémoires de Jean de Parthenay-l’Archevêque, sieur de Soubise, restés inédits pendant trois cents ans, ont été publiés en 1879. Il est étrange qu’ils n’aient pas été plus remarqués. Le style en est excellent, et ils ont l’intérêt d’un roman. Viète, pour la langue française comme pour l’algèbre, a été un précurseur. Contemporain de Montaigne, il écrit comme Descartes.

L’arbre généalogique des Parthenay présente une singularité. Le nom de Parthenay, à une date inconnue, avait couru grand hasard de s’éteindre. C’était plusieurs siècles avant la naissance de Catherine. Cette race illustrée par quatorze rois, dont on ne sait que le nombre, n’avait plus qu’un seul représentant. Il était archevêque. L’espoir de lignée semblait nul. Le Saint-Père, ayant égard à l’ancienneté, à la gloire et à la singulière piété d’une maison dont le nom et les armes ne devaient pas périr dans